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qu’il y met éveille le doute. Je ne voudrais pas assurément me faire le garant de Bussy, car il y aurait trop à faire ; mais il me semble pourtant que c’est aller un peu loin que de ne lui reconnaître ni ame ni cœur : Mme de Sévigné était moins dure, et M. Aubenas eût été plus équitable de s’inspirer de son indulgence. Il y a une ou deux vétilles de détail sur lesquelles je veux chicaner l’auteur. Dans ces sortes de monographies, l’extrême exactitude est de mise, et il y a toujours à améliorer pour les réimpressions. À un endroit, M. Aubenas dit qu’en 1649, Renaud de Sévigné était déjà séduit complètement à Port-Royal : c’est là une erreur empruntée à Petitot ; cette liaison avec les jansénistes n’eut en effet lieu que plus tard, après la fronde. Enfin (dernier et mince détail que je veux encore relever), il n’est pas vrai que Mme de Sévigné ait posé en 1650 la première pierre d’un nouvel édifice à Port-Royal-de-Paris : c’est à Port-Royal-des-Champs au contraire, et seulement vers 1672, que cette solennité eut lieu.

Voilà des minuties ; mais si, quant à l’exactitude des faits, on n’a guère à relever, chez M. Aubenas, que des péchés aussi peu graves, on ne saurait, par contre, adhérer toujours à ses jugemens sur les hommes et les choses du XVIIe siècle. Depuis le spirituel essai de Rœderer, on a beaucoup abusé de l’hôtel de Rambouillet : dans ces derniers temps, tout le monde s’en est mêlé et a renchéri en réhabilitation sur le voisin, pour tâcher de faire mieux. M. Aubenas donne dans ce travers, et va jusqu’à dire que l’hôtel de Rambouillet n’eut rien de précieux : c’est le dernier mot du paradoxe. Qu’on loue l’influence aimable du salon bleu ; qu’avec des exemples comme ceux de Mme de La Fayette et de Mme de Sévigné, on trouve que les précieuses n’étaient pas trop pédantes et mijaurées ; qu’on dise qu’il y avait là beaucoup d’esprit, que le monde en a depuis gardé une certaine élégance toute française, fort bien ; mais il est bon de ne pas aller plus loin. Quoi qu’on fasse, le centre du bel esprit maniéré, de l’affectation, de la recherche, était là. L’hôtel de Rambouillet, au surplus, porte malheur à l’estimable biographe de Mme de Sévigné : dire que le sonnet y fut perfectionné, c’est mettre en oubli toute l’école du XVIe siècle ; l’hôtel de Rambouillet, au contraire, gâta le sonnet, qui devint dès-lors sophistiqué, entortillé, et qui ne fut plus bon qu’à exprimer ce que Mme de Sévigné appelle le délicat des mauvaises ruelles. J’insiste sur ces contradictions, parce que, tout en indiquant une sérieuse étude du sujet, le livre de M. Aubenas trahit aussi une connaissance insuffisante, une pratique trop peu prolongée de la société du XVIIe siècle. Une assertion encore qui me choque, c’est de faire de Boileau et de Molière les exécuteurs littéraires de Louis XIV, c’est de dire que ce prince faisait combattre l’hôtel de Rambouillet. Le rôle de Boileau et de Molière fut exclusivement individuel, et Louis XIV, jeune encore, ne s’occupa guère, n’eut pas à s’occuper de l’hôtel de Rambouillet, dont le temps allait finir et qui tombait de lui-même. En général, toute cette théorie sur la transition de la période de Mazarin à celle de Louis XIV est outrée et factice.

Puisque je suis en veine de reproches, je ne m’en tiendrai pas à l’histoire,