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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1029

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REVUE LITTÉRAIRE.

et je dirai un mot du style. Un style simple, élégant, convient et suffit à ces sortes de notices. Ici il est à craindre que M. Aubenas n’ait pas assez mis à profit son commerce prolongé avec l’écrivain le plus naturel, le plus juste de ton, le moins embarrassé du XVIIe siècle. Autrement il ne se fût pas risqué à parler de la taciturnité de Mme de Grignan et du caractère impressionnable de Mme de Sévigné : ce sont là autant de notes fausses qui arrêtent et blessent. Sans compter les périodes pénibles et mal construites, on pourrait relever plus d’une incorrection formelle. Ainsi : « L’aïeul était frère avec la grand’mère ; » et ailleurs cette phrase, qui n’est même pas construite : « Il en demanda pardon, mais une excuse à sa manière. » On trouverait fastidieux sans doute que ces remarques se prolongeassent davantage, mais il importe, il est urgent que la critique maintienne quelquefois ses droits d’investigation dans les détails : autrement tout serait permis.

Malgré les réserves qu’on vient d’émettre, il est évident que le livre de M. Aubenas mérite d’être adjoint, comme appendice utile et commode, au recueil des lettres de Mme de Sévigné. Il est plein de recherches intéressantes ; le côté provençal surtout, toute l’histoire de la maison de Grignan, est là au complet et élucidé beaucoup mieux qu’ailleurs. Le mal est que M. Aubenas ait un peu trop traité le pur Louis XIV et les délicatesses de cette société polie, avec des tournures plus provençales que françaises. Ce qui manque dans son ouvrage, c’est précisément ce qui abonde chez Mme de Sévigné, la netteté, la légèreté, la grace.

Si on ne trouve guère plus de fleurs chez M. Walckenaër, il s’y rencontre au moins une entente bien autrement approfondie et complète de ce qui touche, même de loin, au XVIIIe siècle. Tous ces gens-là sont pour lui des gens de connaissance, des amis. Il les arrête familièrement et se plaît à causer avec eux : comme Brossette, il est dans l’intimité de Boileau ; comme Maucroix, il sait l’intérieur de La Fontaine. Mais, en son récent travail sur Mme de Sévigné, M. Walckenaër ne suit pas la même méthode didactique, sévère, que pour son histoire estimée du grand fabuliste. Ici il se donne les coudées franches, ou plutôt il fait comme son cher La Fontaine allant à l’Académie, il prend le plus long. Je me rappelle à ce propos un mot piquant de Mme de Sévigné, qui n’a sûrement pas échappé à son nouveau et savant biographe, mais qu’il se gardera bien de citer. « J’aime, dit-elle, les relations où l’on ne dit que ce qui est nécessaire, où l’on ne s’écarte ni à droite ni à gauche, et où l’on ne reprend point les choses de si loin. » Je me figure l’impatience de Mme de Sévigné lisant cette histoire, où elle n’est qu’un prétexte pour traverser le XVIIe siècle : plus d’une fois elle eût jeté le livre de dépit.

M. Walckenaër n’a encore donné que les deux premières parties de son ouvrage, et pour long-temps, dit-il lui-même, il s’en tiendra là. Or il faut savoir que ces deux tomes compacts ne conduisent pas Mme de Sévigné jusqu’au mariage de sa fille, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où sa véritable correspondance commence, où elle parle de son temps, de ses amis, d’elle-même.