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Ce n’est point d’ailleurs le rôle de la critique de prédire sans cesse le lendemain, d’outrepasser les horizons ; elle l’a voulu trop faire jusqu’ici. Qu’elle se borne à relever les hauteurs, à reconnaître les signes, et à constater.

Certes, bien que quarante-trois ans soient beaucoup dans la vie d’un siècle, il serait téméraire de prétendre décider de sa physionomie générale à cet âge de son existence. À prendre en effet les trois derniers siècles à leur année 43, on n’aurait guère pu deviner, en littérature (pour ne parler que de cela), tout ce qu’ils ont enfanté de plus original et de plus grand.

Au XVIe siècle, en 1543, le brillant mouvement de renaissance imprimé par François Ier était sans doute en plein développement, mais il n’avait pas produit sa floraison ni ses fruits dans toutes les branches. On avait Marot, Calvin, on avait surtout Rabelais ; mais le grand réveil poétique de la pléiade n’était pas encore sonné ; on n’avait pas Montaigne, ni même les douceurs prochaines d’Amyot ni tout ce qui remplit si bien, en érudition, en doctrine parlementaire, en histoire, en poésie, en style, la seconde moitié de cette riche et confuse époque.

Au XVIIe siècle, en 1643, on avait Corneille, et c’était l’année de Rocroy ; mais comment deviner alors, malgré de tels augures, les destinées merveilleuses du règne-enfant et les splendeurs de Louis XIV ?

Au XVIIIe siècle, bien qu’il fût plus facile, à pareille date, de prévoir ce qui ne devait être, à proprement parler, qu’une suite, une continuation, cette continuation allait dépasser les prémisses et les couronner dans des proportions tout-à-fait surprenantes et glorieuses. On n’avait, en 1743, presque aucun des grands monumens de l’époque, pas encore l’Esprit des Lois (1748), pas encore l’Histoire naturelle (1749), pas l’Encyclopédie (1751), rien de Jean-Jacques, et Voltaire, déjà si brillant, n’était pas encore arrivé, par les années et par l’exil, à cette sorte de dictature universelle dont ses licences et ses ricanemens purent à peine atténuer la majesté. Ainsi donc, en constatant aujourd’hui ce que nous autres, XIXe siècle, nous sommes à cet âge qui est censé celui de la maturité, nous ne prétendons aucunement engager l’avenir littéraire ni préjuger le lendemain. À conjecturer pourtant, comme il est permis, d’après l’ensemble et le train courant des générations survenantes, l’imagination pourrait sembler dorénavant avoir moins de chances pour les grandes œuvres, que l’érudition et la critique pour les travaux histo-