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SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE.

riques dans tous les sens, et que l’esprit pour les charmans gaspillages de tous genres. Mais ceci n’est qu’un aspect immédiat, et il suffirait de deux ou trois de ces nobles esprits qui sont toujours une exception, et qui peuvent toujours sortir de la grande loterie providentielle, pour donner à la conjecture d’heureux démentis.

Ce qui est, ce qui s’est déjà accompli et parcouru, ce que nous possédons, voilà une matière plus sûre ; tenons-nous à en toucher, à en presser quelques points essentiels et à les caractériser. La critique ne peut guère prétendre à plus pour éclairer et pour avertir. Que s’est-il passé littérairement de saillant, de sensible à tous, depuis quelques années ?

Et quelle disette d’abord, ou du moins quelle stérile abondance ! Signaler la halte, le rallentissement graduel et continu, c’est proclamer ce que chacun s’est déjà dit. Pendant que les hommes en possession de la vogue et de la faveur publique continuaient plus ou moins heureusement d’en user ou d’en abuser, que trop souvent ils traînaient sans relâche, sans discrétion, qu’ils appesantissaient leur genre, ou qu’ils le bouleversaient brusquement un beau matin plutôt que de le renouveler, quelles œuvres vraiment nouvelles, quelles apparitions inattendues sont venues varier et rafraîchir le tableau ?

Deux faits notables, deux phénomènes littéraires, sont venus, l’un pas plus tard qu’hier, l’autre depuis quelques années déjà, fournir à l’attention avide un sujet, un aliment tant désiré, sur lequel on a vécu à satiété et qui par bonheur (cela reste vrai du moins pour l’un des deux) n’est pas près de s’épuiser encore. Je ne prétends pas du tout évaluer ici ces deux faits en eux-mêmes, et je ne les atteste que comme symptômes. On a eu au théâtre Mlle Rachel, qui nous a rendu toute une veine dramatique de chefs-d’œuvre, lesquels avaient naguère semblé moins actuels, moins nouveaux ; on a eu hier une tragédie qui a attiré la foule, et qui, par des qualités diverses et sérieuses, a mérité de faire bruit.

Qu’il ait pu y avoir, durant ces derniers temps, en d’autres branches d’étude et de culture, d’autres productions qui fassent honneur à l’époque et qui lui seront comptées un jour, je suis loin de le vouloir contester ; mais, à ne consulter que l’époque elle-même et son impression purement présente, ces deux accidens sont les seuls qui, dans l’ordre de poésie, aient mis les imaginations en émoi et qui aient vivement piqué l’attention publique.

Or, pour qui sait voir et observer, ces deux faits (que je n’entends encore une fois ni égaler ni juger en eux-mêmes) sont un grand en-