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POETÆ MINORES.

politiquement, car elle a son apostolat. M. Belmontet a sans doute oublié que ce mot-là est dangereux et que l’apostolat mène d’ordinaire au martyre.

Il y a place pour tout le monde au soleil. L’illusion est étrange de la part de M. Belmontet, quand il croit au dépérissement de toute poésie qui ne ressemble pas à la sienne. C’est la mort se prenant pour la vie. S’il y a, en effet, un genre qui semble avoir disparu pour jamais, n’est-ce pas le dithyrambe de circonstance, le panégyrique contemporain ? Cela est bon pour le Moniteur. Telle que l’entend M. Belmontet, la poésie ressemblerait à ces villes alignées, comme Turin ou Nancy, où, de tous les points, se découvrent la même place centrale, le même horizon immuable. Chez l’auteur des Deux Règnes, on n’aperçoit toujours que les Tuileries et la place Vendôme. Même dans un grand poète, cela serait monotone, et M. Belmontet ne se tire de la monotonie que par des trivialités emphatiques et un grandiose burlesque. Qu’il célèbre, en effet, la révolution tricolore ou le grand aide-de-camp de Dieu, c’est-à-dire Napoléon, l’auteur ne sait que recourir à la vieille artillerie de la versification, à ce cortége d’apostrophes, d’exclamations, d’interpellations, que traînait après lui l’ancien lyrisme. La muse de M. Belmontet ne cesse un seul instant de faire la grosse voix. Toujours et partout, ce sont des métaphores gigantesques, une rhétorique enflée, tout le clinquant et le faux sublime d’une poésie qui se bat les flancs. Pour atteindre à l’énergie, M. Belmontet s’imagine qu’il n’y a qu’à appuyer le pinceau. De là un alliage assez triste des lieux communs classiques et du plus mauvais néologisme d’aujourd’hui. C’est quelque chose comme du Le Brun ampoulé et une Némésis moins vigoureuse, le tout brodé sur un fond d’Esménard. Pour l’auteur des Deux Règnes, l’Angleterre, c’est toujours la perfide Albion, le nid des tyrans ; le maître des vents, c’est encore Éole. Il semble vraiment qu’on entende mugir ces vents furieux au fond de chacune des strophes de M. Belmontet. C’est l’empereur, avec le prestige de sa gloire, qui ne cesse de présider à l’inspiration des Deux Règnes. Bonaparte est pour M. Belmontet ce que Voltaire est à certain académicien, ce que Racine est à certain critique : dès qu’on nomme un de ces grands hommes, ces messieurs se retournent et prennent cela pour une personnalité. Il y a des sympathies compromettantes. À force de vouloir grandir Napoléon, l’auteur ne réussit à faire du Titan qu’une marionnette démesurée. On dirait ce héros auquel Rabelais, dans ses fantaisies