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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

vollée, inspecteur des finances, dont le mémoire, concis et substantiel, est un document des plus instructifs[1]. Enfin, le 20 mai 1840, une commission consultative, choisie parmi les membres des premiers corps de l’état, a été instituée sous la présidence de M. le duc de Broglie. Dans cette commission, les sciences économiques ont été représentées par MM. Rossi et Passy ; la pratique financière, par MM. de Saint-Cricq et d’Audiffret ; les intérêts moraux, par MM. de Tocqueville, de Sade, de Tracy et Bignon ; les intérêts maritimes, par MM. de Mackau, de Moges et Jubelin ; le commerce, par MM. Reynard et Wustemberg ; l’administration, par MM. Galos et de Saint-Hilaire. Ce comité a déjà fourni trois sessions (1840-41-42) ; ses Procès-verbaux forment jusqu’à ce jour trois volumes, et c’est le beau Rapport[2] de son président qui, plus tard, deviendra la base de la discussion solennelle.

On voit que les enquêtes, les études préparatoires, n’ont pas fait défaut jusqu’ici ; essayons à notre tour de constater les opinions et les faits.

II. — LA RACE NOIRE.

Au XVIe siècle, les blancs qui exterminaient les hommes rouges et les remplaçaient par des noirs affirmaient que les Caraïbes étaient lâches et ineptes, et que quatre Indiens valaient moins pour le travail qu’un seul nègre. Aujourd’hui que la race caraïbe est à peu près détruite, à l’exception de quelques milliers d’hommes connus sous le nom d’Ibaros, on affecte de l’exalter. « C’est, dit M. Granier de Cassagnac, une race superbe, leste, active, probe, amie du travail et de l’ordre. » Les nègres, à leur tour, sont tellement rabaissés par des observateurs intéressés ou prévenus, que la première question à débattre est celle-ci : La race noire est-elle susceptible d’être élevée à la civilisation ? En est-elle digne présentement ?

Montesquieu s’est écrié, dans un accès de verve ironique : « Si nous supposions que les nègres soient des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes des chrétiens. » Cette boutade a été prise à la lettre par les partisans de l’esclavage. Ils feignent de ne pas concevoir la sympathie qu’on témoigne à ces Africains que la nature semble avoir affublés d’une livrée de servitude ; ils ne voient en eux que des êtres imparfaits, placés dans l’échelle animale entre les bipèdes blancs et les quadrumanes. Deux mots seulement à ce sujet. Dans l’état actuel de la science, il n’est pas possible de décider avec certitude si les caractères que présente le nègre sont accidentels ou variables, ou bien s’ils sont éternels et indélébiles. La majorité des naturalistes s’est prononcée, nous le savons, pour la seconde hypothèse, mais il y a, en faveur de la première, des opinions et des faits qui, à la rigueur,

  1. Notes sur les cultures et la production de la Martinique et de la Guadeloupe, par M. Lavollée, in-4o (1841).
  2. Un vol. in-4o de 360 pages, plus les pièces à l’appui.