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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/208

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nies, n’a pas produit partout les mêmes effets. Chacun des agens a raconté ce qu’il a eu occasion d’observer dans les lieux où il a été envoyé, et sans doute il est arrivé à plusieurs de prendre l’incident pour le fait général. Ce fut ainsi qu’on accumula une masse assez embarrassante de renseignemens contradictoires. Suivant la tactique habituelle des hommes de parti, les défenseurs de l’esclavage ont pu s’emparer de certains faits isolés, et s’en servir comme d’un épouvantail. Les rapports de M. Layrle et de M. Dejean de la Bâtie méritent parfois ce reproche. Le délégué de la Martinique, M. Jollivet, a pris la peine de compulser les documens anglais et français[1] pour en extraire les témoignages désavantageux, sans mentionner ceux qui leur servent de correctifs. Il signale des paroisses de la Jamaïque, de la Dominique et de la Guyane, où la désertion subite des travailleurs a ruiné les ateliers. Au lieu d’établir une moyenne de production sur un certain nombre d’années, il compare une récolte favorable à une récolte malheureuse, afin de pouvoir constater un déchet d’un tiers. M. Jollivet cache trop mal sa robe d’avocat sous le frac du représentant pour que sa parole exerce beaucoup d’influence. En s’appuyant à leur tour sur les exceptions, les abolitionistes pourraient soutenir que la liberté a été plus féconde que l’esclavage à Antigue, à Saint-Christophe, à Nevis, à Montserrat, à Tortola, et surtout à Maurice.

Lorsqu’au lieu de grouper les chiffres dans l’intérêt d’un parti, on se propose, comme nous, d’arriver à une conviction sérieuse, il faut négliger les accidens locaux, et dominer l’ensemble des faits. En comparant l’importation et la vente des sucres en Angleterre pendant les huit dernières années de l’esclavage et pendant les huit années qui ont suivi l’acte d’affranchissement, on arrive aux résultats suivans :

SUCRES. PRODUCTION TOTALE DES HUIT ANNÉES. MOYENNE ANNUELLE. PRODUIT DE LA VENTE TOTALE. VENTE ANNUELLE EN MOYENNE.
kilogr. kilogr. francs. francs.
Esclavage (1826-33) 
1,771,517,120 221,439,640 1,254,246,665 156,768,333
Liberté restreinte et complète (1834-41) 
1,500,350,657 187,543,832 1,358,219,495 169,771,438

Pendant la première période, la quantité vendue présente un excédant de 271,166,463 kilogrammes ; mais, pendant la seconde période, les frais de production ayant élevé les prix, le produit de la vente offre une plus-value de 104,072,830 francs. En moyenne, sous le régime du travail libre, il y a déficit dans la fabrication d’environ 16 pour 100 par année, mais le produit de la vente est augmenté, au profit des planteurs, comme au détriment des consommateurs, d’environ 8 pour 100.

  1. L’Émancipation anglaise jugée par ses résultats, brochure in-8o.