les degrés du trône les gens de lettres de son temps, de dire à l’un : Tu es ceci ; et à l’autre : Tu feras cela. Par malheur, il n’admettait à aucun degré l’indépendance de la pensée, et il oubliait que le talent n’est pas un vernis qu’on commande sur la toile à volonté ; il faut que tout le tableau ressorte du même fond. La restauration, qui avait des traditions banales de protection des arts et des lettres, n’a presque jamais su les appliquer avec quelque discernement et quelque élévation ; elle demandait avant tout qu’on fût d’un parti, et ce parti rétrécissait tout ce qu’il touchait. Depuis lors le pouvoir a perdu son prestige ; il a paru, sur bien des points, demander grace pour lui, bien loin d’être en mesure de rien décerner. L’habileté, d’abord, et la haute prudence ont dû être employées aux choses urgentes ; quand on travaille à la pompe durant l’orage, on songe peu à ce qui semble uniquement le jeu des passagers. Et depuis que l’orage est loin, on peut croire que les passagers sauront bien organiser leurs délassemens eux-mêmes. Mais il s’agit ici de plus que d’un délassement de l’esprit ; il s’agit de la vie morale et intellectuelle d’un temps et d’un peuple. Je me permets tout bas de penser que ce laisser-aller est une erreur ; rarement les moindres choses (à plus forte raison les grandes) s’organisent d’elles-mêmes. Il faut une main, un œil vigilant et haut placé. Le public, le monde, qui, dans nos idées, semble depuis longtemps le juge naturel et l’arbitre des talens et des œuvres, ne remplit cette fonction que très imparfaitement. Et d’abord, on peut demander toujours de quel monde il s’agit. Est-ce celui de la presse, des journaux, de la publicité proprement dite ? On sait ce qu’il est devenu au sein de son triomphe, depuis la désorganisation des partis. Le vrai y est sans cesse à côté et à la merci du faux ; à un très petit nombre d’exceptions près, l’éloge s’y achète, l’insulte y court le trottoir, l’industrie y trône en souveraine. Quiconque voudrait se régler sur les décisions de ce juge banal ou vénal se trouverait posséder un joli code de bon goût ! Heureusement, il y a hors de cela une opinion qui se fait et qui compte, le monde proprement dit. Or, ce monde-là est avant tout un curieux aimable, il ne craint rien tant que l’ennui ; il a son goût vif, mobile, ses délicatesses. Aux œuvres, aux hommes qui se produisent et qui ont le don de l’amuser, de le fixer un instant, il est empressé, accueillant, facile ; il offre d’abord tout ce qu’il peut offrir, une sorte d’égalité distinguée : il vous accepte, vous êtes en circulation et reconnu auprès de lui, après quoi il ne demande guère plus rien. La vie du talent a d’autres conditions ; l’égalité, s’il est permis de le dire, l’égalité toute flatteuse en si bon lieu
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SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE.