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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/24

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REVUE DES DEUX MONDES.

est peu son fait et son but définitif : il aspire à plus, à autre chose, à être discerné et apprécié en lui-même. Ce qu’il gagne en goût dans le monde, il le perd en originalité, en audace, en fécondité. Massillon disait, à propos de son petit Carême, que, lorsqu’il entrait dans cette grande avenue de Versailles, il sentait comme un air amollissant. Le monde, moins solennel, plus attirant que la royale avenue, a également la tiédeur de son milieu. Loin d’enflammer, comme il devrait, ceux qu’il récompense, il les intimide plutôt et leur ôte de leur veine. On craint de compromettre désormais une fortune qu’on sent tenir un peu du caprice et du hasard : on arrive, si l’on n’y prend pas garde, au silence prudent. Les engouemens, les banalités, les injustices dont est bientôt témoin le talent arrivé, et qui sont inévitables dans toute foule, même choisie, lui inoculent l’ironie et le découragent. C’est presque là le contraire du foyer qui échauffe et qui tend à élever. La solitude, la réflexion, le silence, et un juge clairvoyant et bienveillant dans une haute sphère, un de ces juges investis par la société ou la naissance, qui aident un peu par avance à la lettre de la postérité, et qui, au lieu d’attendre l’écho de l’opinion courante, la préviennent et y donnent le ton, ce sont là de ces bonheurs qui sont accordés à peu d’époques, et dont aucune (sans qu’on puisse trop en faire reproche à personne) n’a été, il faut en convenir, plus déshéritée que celle-ci.

Combien de fois n’avons-nous pas rêvé par l’association libre une institution qui jusqu’à un certain point y suppléerait ! Un journal, une revue dont l’établissement porterait sur des principes et dont le cadre comprendrait une élite honnête, est un idéal auquel dès l’origine il a été bien de viser, et auquel ici-même on n’a pas désespéré d’atteindre. La critique, en causant de ces choses, ne peut avoir d’autre prétention que de proposer ses doutes et de faire naître dans les esprits élevés de généreux désirs. En attendant, jalouse d’entamer du moins ce qui est possible immédiatement, la critique n’a qu’à s’appliquer de plus près et avec plus de rigueur à ce qui est, pour en tirer enseignement et lumière. Trop long-temps, jeune encore, elle a mêlé quelque peu de son vœu, de son espérance, à ce qu’elle voulait encore moins juger qu’expliquer et exciter. Cette Revue a publié, de la plupart des poètes et romanciers du temps, des portraits qui, eu égard au peintre comme aux modèles, ne peuvent être considérés en général que comme des portraits de jeunesse : Juvenis juvenem pinxit. Le temps est venu de refaire ce qui a vieilli, de reprendre ce qui a changé, de montrer décidément la grimace et la ride là où