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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/242

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REVUE DES DEUX MONDES.

interrogations de sa tante avaient un instant irrité son courage, l’accent affectueux du marquis venait de lui rendre toute sa timidité.

— J’ai tort, reprit le vieillard en voyant l’embarras de sa nièce ; une question si grave devait être entourée de toutes sortes de précautions oratoires, mais la maudite vivacité dont je te parlais tout à l’heure m’a emporté malgré moi. Je n’ai pas eu la patience de mettre deux heures à te faire convenir d’une chose dont je suis sûr.

— Sûr ? dit la jeune fille, dont l’œil étincela.

— Ne te fâche pas, et surtout n’accuse pas Moréal ; ce n’est pas lui qui m’a dit que tu l’aimais ; le pauvre garçon est trop discret et trop modeste pour cela.

— Mais alors qui a pu vous le dire ? demanda Henriette d’un air confus.

— Toi-même.

— Moi ?

— Ou, si tu l’aimes mieux, ton regard, lorsque avant-hier tu l’as aperçu dans le salon.

— Mais c’est terrible ! dit la jeune fille, qui rougit de nouveau.

— Sans doute, reprit M. de Pontailly en imitant l’accent de sa nièce ; c’est terrible d’avoir des yeux qui gardent si mal un secret. Tu vois donc bien que je sais déjà tout, et que tu peux sans inconvénient me faire tes petites confidences. D’abord, que t’a dit ce soir ta tante ?

Enhardie par la bonté qu’exprimaient la physionomie et l’accent du vieillard, Henriette raconta fidèlement l’entretien qu’elle venait d’avoir avec la marquise.

— Elle t’a promis de congédier Dornier, et tu pleures ? s’écria l’émigré ; tu n’es pas raisonnable. Le point essentiel est gagné, et je n’espérais pas tant.

— Mais le reste, mon oncle ! murmura la jeune fille.

— Ah ! le reste, dit en riant M. de Pontailly ; eh bien ! le reste, nous tâcherons de l’arranger.

— Comment cela ? demanda Henriette, qui, par un mouvement involontaire, rapprocha sa chaise du fauteuil de son oncle.

— Voyons, dit celui-ci en lui prenant les mains ; à nous deux, il est impossible que nous n’ayons pas quelque bonne idée. D’abord, prends garde de déplaire à ta tante, car elle seule peut te servir près de ton père ; puisqu’elle t’a défendu de rester dans le salon quand Moréal y viendra, il faut lui obéir.

— Voilà ce que vous appelez une bonne idée ? répondit la jeune