fille, qui essaya de retirer ses mains ; mais le vieillard, amusé de cette expressive pantomime, les emprisonna dans les siennes.
— Écoute-moi donc, reprit-il, je n’ai pas tout dit. Le grand malheur qui t’afflige aura bien ses petites compensations. Ta tante sort à peu près tous les soirs, elle te conduira dans le monde ; on va donner des bals…
— Où je ne danserai pas, interrompit Henriette, à qui paraissait odieuse l’idée seule d’un plaisir que ne partagerait pas Moréal.
— Tu tiens donc à désespérer un beau jeune homme de ma connaissance, qui, j’en suis sûr, serait très heureux de danser avec toi ?
— Je ne comprends pas…
— Suppose que le hasard, peut-être avec l’aide de ce vieil oncle si méchant à qui l’on ne veut pas même laisser sa main ; suppose, dis-je, que le hasard fasse inviter M. de Moréal à tous les bals où tu dois aller toi-même ; qu’est-ce que ta tante aurait à te dire ?
— Oh ! mon oncle, vous seriez assez bon ! s’écria la jeune fille en serrant à son tour les mains du vieillard.
— Chut ! dit celui-ci, de l’air d’un conjuré qui craint une surprise ; on marche dans l’autre salon.
Henriette reprit le journal avec une vivacité extrême. « On écrit de Constantinople le 27 octobre, lut-elle au hasard : La dernière note du divan communiquée par le reis-effendi aux ambassadeurs des cinq grandes puissances renferme… »
— Ce n’est pas ta tante, interrompit M. de Pontailly ; c’est Germain qui range quelque chose. Tu as eu peur, n’est-ce pas ?
— Mais vous-même, mon oncle ? répliqua la jeune fille en souriant.
— J’avoue que, pendant toutes mes campagnes de l’armée de Condé, je n’ai jamais été si ému, dit le vieillard, riant à son tour ; sais-tu que nous avons l’air de vrais conspirateurs ?
— C’est si intéressant de conspirer.
— Bon ! te voilà comme ton frère ; il est vrai que ce n’est pas précisément l’amour de la patrie qui te fait parler. Où en étions-nous ?
— Au bal, répondit Henriette, devenue rayonnante.
— Où tu dansais avec le beau jeune homme en question. Je crois que sur ce chapitre nous pouvons en rester là. Mais le matin, d’autres hasards peuvent aussi se présenter.
— Le matin aussi ? dit la jeune fille, dont le gracieux visage s’épanouissait à chaque mot.
— Par exemple, je pense bien qu’en brave petite provinciale tu