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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/246

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REVUE DES DEUX MONDES.

M. Chevassu avait donc éprouvé un échec, et il le savait ; mais, grace au merveilleux dictame que l’amour-propre tient toujours en réserve pour ses blessures, au lieu de chercher la cause de sa déconvenue dans l’emphatique prolixité de son éloquence, il l’attribua sans hésiter à la jalouse envie de ses auditeurs.

— J’ai été imprudent, se dit-il ; je leur ai laissé mesurer trop tôt l’envergure de mes ailes ; aussi, dès le premier jour, voilà toutes les vanités soulevées contre moi. Dornier a raison : la béquille de Sixte-Quint ! c’est le vrai bâton de voyage de l’homme politique. Pour ne pas trop effaroucher tous ces petits amours-propres, je vais être obligé de me diminuer pendant quelque temps. Soit ; je ferai le mort un mois ou deux, mais le réveil sera foudroyant.

Après la jalousie de ses collègues, la seconde chose à laquelle le député s’en prit à l’occasion de son échec, ce fut l’inexplicable disparition de Dornier.

— Qu’a-t-il pu devenir ? se demanda-t-il vingt fois sans parvenir à trouver une réponse à cette question ; ce n’est pas que j’aie besoin de lui, mais enfin, dans une circonstance capitale, on aime à causer avec un ami dévoué. Ami dévoué ! l’est-il ? À coup sûr son incompréhensible conduite me donne le droit d’en douter.

Secrètement irrité contre Dornier et abattu par cette mélancolie qui en dépit des échappatoires de l’amour-propre accable toujours les orateurs malheureux, M. Chevassu, en entrant chez sa sœur, s’était imposé une gaieté factice dont elle ne fut pas la dupe. M. de Pontailly, qui faisait tous les matins une promenade pédestre pour gagner de l’appétit, n’était pas encore rentré. La marquise éloigna sa nièce en lui disant tout bas qu’elle voulait, dès ce moment même, tenir sa promesse de la veille. Henriette sortit pleine d’espérance, mais fort émue, car il lui semblait que son sort allait se décider, et le frère et la sœur restèrent seuls, assis en face l’un de l’autre, de chaque côté de la cheminée.

— J’ai renvoyé Henriette pour pouvoir vous parler d’elle, dit alors la marquise ; persistez-vous toujours à vouloir la marier avec M. Dornier.

— Pourquoi n’y persisterais-je pas ? répondit le député d’un ton sec ; n’allez-vous pas aussi me parler en faveur de M. de Moréal ?

— En aucune façon. Le jour de votre arrivée, vous m’avez déjà cherché à cet égard une querelle dont vous m’auriez fait grace si vous eussiez mieux connu l’état des choses. Je reçois M. de Moréal parce qu’il est l’ami de M. de Pontailly, mais je ne prétends nulle-