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UN HOMME SÉRIEUX.

ment contrarier vos projets en vous le proposant pour gendre. Je connais vos droits et je les respecte ; c’est à vous qu’il appartient de prononcer sur le sort de votre fille, et, loin de vouloir lutter contre votre autorité légitime, je l’appuierai au besoin de tout mon pouvoir. Ce langage plein de déférence était si nouveau dans la bouche de la marquise, que M. Chevassu, habitué aux manières impérieuses de sa sœur, demeura un instant muet de surprise.

— À la bonne heure, dit-il enfin ; je craignais que vous ne vinssiez encore me jeter à la tête ce petit gentillâtre.

— Il n’est pas question de lui, vous dis-je. Vous ne voulez pas qu’il épouse votre fille, c’est chose jugée ; n’en parlons plus et revenons à Dornier. Savez-vous qu’après sa ridicule aventure de samedi c’est un homme que personne ne voudra plus voir ?

— Parce qu’il ne s’est pas battu ? s’écria le député ; à mes yeux ce n’est pas là son plus grand tort.

— Vous avez donc aussi quelque chose à lui reprocher ? demanda Mme de Pontailly d’un ton insinuant.

— Sans doute, répondit M. Chevassu ; je trouve singulier que depuis deux jours Dornier ne m’ait pas donné signe de vie. Ce n’est pas que j’aie besoin de lui, mais je suis habitué à son travail, et, surchargé comme je vais l’être, il me faut un secrétaire qui dégrossisse la besogne. Tous les hommes politiques font ainsi.

— Mais accordez-vous un véritable talent à M. Dornier ?

— Il me conviendrait mal de faire son éloge, puisque c’est moi qui l’ai formé. À son arrivée à Douai, il n’était pas fort ; mais je dois avouer que depuis il a acquis.

— Comment à si bonne école n’aurait-il pas fait des progrès ? dit la marquise, qui savait que, pour remuer une volonté récalcitrante, la flatterie est le meilleur des leviers.

— Quand je dis qu’il a acquis, reprit le député en se rengorgeant, je ne lui confierais pas un travail capital ; mais, en le dirigeant, on peut l’utiliser.

Depuis deux jours la marquise avait pris Dornier en véritable haine, et l’idée de le voir entrer dans sa famille lui semblait intolérable ; ce fut donc sans arrière-pensée qu’elle s’efforça de lui enlever les bonnes graces de M. Chevassu, qui, de son côté, commençait à se refroidir à l’égard de son ami politique.

— Écoutez, mon frère, dit-elle d’un air de sincère affection, je vous trouverai vingt secrétaires qui vous serviront tout aussi bien, pour ne pas dire mieux, que M. Dornier ; entre nous, une plus longue