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ministère ne tombe pas devant l’adresse, il n’en vaudra, je crois, guère mieux ; pour ma part, dès que j’aurai établi ma position à la chambre, je ménage à messieurs les ministres certaines petites interpellations dont ils seront bien obligés de faire une question de cabinet ; nous verrons comment ils s’en tireront.

— Ah ! vraiment ! une question de cabinet ! dit le vieillard en ricanant ; eh bien ! moi aussi, je vais vous poser une question de cabinet ; vous me direz si elle vaut la vôtre, et nous verrons comment votre paternité s’en tirera. Où est Prosper ?

— Prosper ? répondit le député de l’air d’un homme mal réveillé ; ah ! oui, Prosper. Voilà deux jours que je ne l’ai vu.

— Du moins vous savez où il est ?

— À l’hôtel où il a demeuré jusqu’à présent, je suppose.

— Mais vous n’en êtes pas sûr ?

— Je suis si surchargé d’affaires depuis mon arrivée…

— Qu’il ne vous reste pas le temps de penser à votre fils, interrompit brusquement le marquis ; pardieu ! ce serait un soin trop vulgaire pour un grand citoyen de votre espèce. Ah ! s’il s’agissait de nègres à émanciper, d’intrigans à protéger, d’imbéciles à haranguer, à la bonne heure ! vous seriez de feu. Mais votre fils ! Eh bien ! puisque vous ne savez pas où est Prosper, je vais vous l’apprendre.

M. de Pontailly tira une lettre d’une des poches de son gilet.

— Faites-moi le plaisir, reprit-il, d’écouter la lecture de cette épître qu’on vient de me remettre quand je suis rentré. Le marquis ouvrit la lettre, et lut en appuyant sur chaque mot :

« Mon cher oncle,

« Je ne suis ni dans la Seine occupé à nourrir les poissons, ni dans quelque taillis du bois de Boulogne étendu en forme de cadavre ; mais, à part ces deux manières d’être, je n’en connais pas de moins gracieuse que ma position actuelle. Écoutez le récit de ma triste aventure. Vendredi soir, une fort sotte envie m’a pris d’aller voir l’émeute à la porte Saint-Denis. Cette idée de badaud m’a déjà valu près de quarante-huit heures de prison, car au milieu de la foule on m’a arrêté bel et bien, quoique je ne fusse coupable que de curiosité. Depuis près de quarante-huit heures donc j’habite un séjour qui n’est pas celui de Paphos, et qu’on nomme le dépôt de la préfecture de police. La société y est un peu mêlée : vagabonds, forçats libérés, filous de toute espèce, plus quelques niais comme