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c’était moins une émotion d’amour qu’une inquiétude de coquetterie. Doutant de son empire, car elle ne pouvait se dissimuler les naissantes injures du temps, elle avait besoin de rassurer son amour-propre par une de ces tentatives aventureuses que hasardent parfois les puissances qui déclinent. Au péril d’une illusion, elle poursuivait un succès, sans penser que l’enjeu valait mieux que le bénéfice, et qu’immanquablement elle éprouverait plus de chagrin à perdre que de plaisir à gagner. En cette occasion, plusieurs causes avaient fixé particulièrement sur Moréal l’attention de Mme de Pontailly. D’abord, les femmes, le moins possible, font leurs expériences in anima vili, et le vicomte était un sujet fort distingué ; ensuite il s’agissait de conquérir un cœur épris d’une autre et de l’emporter sur une rivale jeune et belle, double attrait auquel peu de coquettes fussent restées insensibles ; enfin, par une de ces subtilités d’argumentation qu’on a tant reprochées à certains casuistes, la marquise avait découvert qu’inspirer de l’amour à M. de Moréal, c’était le meilleur moyen de le détacher d’Henriette, et par conséquent d’accomplir les vœux de M. Chevassu.

— Mon frère me devra une véritable reconnaissance, se disait-elle en s’exagérant contre son habitude ses devoirs de sœur ; ma nièce est une enfant qui, une fois mariée, se consolera bien vite, et M. de Moréal lui-même me remerciera plus tard de l’avoir empêché de compromettre, par un mariage prématuré, son avenir de poète. Je rendrai donc service à tout le monde. D’ailleurs, comme il est bien entendu que ceci ne doit être pour moi qu’un jeu, je peux bien me permettre de m’amuser un peu des élégies que l’amour ne peut manquer d’inspirer à M. de Moréal.

En conséquence de ces réflexions plus ou moins sincères, Mme de Pontailly accueillit le vicomte avec l’intention bien arrêtée de le soumettre aux séductions d’une amabilité dont plus d’une fois elle avait éprouvé la puissance ; elle commença son attaque par une de ces flatteries auxquelles résiste mal le cœur des poètes, surtout quand elles sortent de la bouche d’une femme.

— Je lisais des vers, mais j’y prenais peu d’intérêt, dit-elle nonchalamment après avoir répondu aux premiers complimens de Moréal ; la poésie est un instrument divin qu’on n’aime pas à voir profané, et ce que je viens de lire me semble d’une vulgarité désespérante. Peut-être, il est vrai, vos délicieuses stances à la mélancolie ont-elles contribué à ma sévérité d’aujourd’hui. C’est l’inconvénient des belles choses de rendre exigeant.