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— C’est ce que je ne ferai pas, madame, quel que soit l’attrait d’une pareille perspective, répondit Moréal d’un air de réserve. Je connais trop l’insuffisance de mes forces pour essayer un essor qu’il me serait impossible de soutenir. Je laisse donc la gloire à ceux qui se sentent nés pour elle, et je dirige tous mes vœux vers un but moins brillant sans doute, mais peut-être plus rapproché du bonheur.

Mécontente du peu de succès de ses flatteries, la marquise changea d’accent :

— Quel est cet Eldorado ? demanda-t-elle d’un ton bref.

— Je désire me marier, madame, et je viens…

Mme de Pontailly se pinça les lèvres et aussitôt partit d’un éclat de rire affecté.

— Je n’aurais jamais deviné celui-là, dit-elle ; quel âge avez-vous ? vingt-cinq ans, je suppose.

— Vingt-sept ans, madame.

— Et vous voulez vous marier ! mais c’est exemplaire, mais c’est édifiant ; vous méritez d’être cité pour modèle aux jeunes gens ! Presque tous, dans votre position, se diraient : J’ai de la naissance, de l’esprit, d’autres avantages encore ; le monde de Paris s’ouvre à moi, et, sur ce théâtre si envié, un rôle brillant m’est offert. Le plaisir est là à coup sûr, la gloire peut-être ; d’une part les mille enchantemens de la vie élégante, de l’autre les nobles travaux de l’intelligence ; par-dessus tout la liberté, ce trésor sans lequel les autres ne sont rien. C’est là sans doute une belle et radieuse existence ; jouissons-en donc tandis qu’elle s’offre à nous ; dans quelques années, notre jeunesse sera envolée, que du moins elle nous laisse des souvenirs.

En parlant, la marquise regardait attentivement Moréal, comme pour étudier sur sa physionomie l’effet de cette tirade, qui, dans sa moralité profane, semblait la paraphrase de quelque fragment d’Horace. Loin de paraître ébloui par l’éclatant horizon qui lui était découvert, le vicomte écoutait avec une impatience laborieusement contenue par sa politesse, et la marquise n’aperçut sur ses traits aucun symptôme d’émotion ou d’entraînement ; blessée d’une indifférence qui paraissait défier toutes ses séductions, elle reprit d’un air sardonique :

— Voilà ce que se diraient à votre place la plupart des jeunes gens ; mais vous, philosophe précoce, vous, sage de vingt-sept ans, vous dédaignez les plaisirs du monde, les orages des passions, les vanités de la gloire ! Ce qu’il vous faut, c’est une obscurité tranquille,