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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/259

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UN HOMME SÉRIEUX.

un bonheur monotone, en un mot les délices du coin du feu ; si ce n’est pas là le rêve d’une imagination ardente, du moins c’est celui d’une ame candide, et je ne puis qu’y applaudir.

Parler à un jeune homme du calme de son imagination et de la candeur de son ame, c’est lui faire un compliment qu’il prendra neuf fois sur dix pour une injure. En temps ordinaire, Moréal peut-être n’eût pas été plus qu’un autre exempt de cette singulière susceptibilité, mais à cette heure il était possédé d’un sentiment trop vif et trop profond pour qu’une ironie féminine pût facilement l’irriter. Il écouta donc avec plus de surprise que de dépit le persiflage de la marquise, et, comme il n’en comprenait pas clairement la cause, il résista prudemment au plaisir d’y répondre par quelque sarcasme qui, en vengeant son amour-propre, eût, selon toute apparence, empiré ses affaires.

— Dussé-je vous paraître plus ridicule encore, dit-il en s’efforçant de sourire, je dois avouer que cette modeste existence dont vient de s’égayer votre moquerie a pour moi un attrait irrésistible. Oui, c’est là mon rêve, madame, et s’il annonce peu d’imagination, c’est qu’il est dans mon cœur et non dans ma tête. On n’invente pas quand on aime.

À ce mot, Mme de Pontailly trouva le vicomte aussi odieux que puisse le paraître à une femme disposée à la bienveillance un homme indifférent ou inintelligent. Toutefois elle s’efforça de dissimuler son dépit, et, s’obstinant à son dessein en raison même de la résistance qu’elle éprouvait, elle reprit d’une voix doucereuse qui contrastait avec ses précédentes railleries :

— Je ne feindrai pas plus long-temps de ne pas vous comprendre ; je sais que vous avez aimé ma nièce.

— Je l’aime toujours, madame ; je l’aime plus que jamais, s’écria impétueusement Moréal.

— Tant pis, reprit la marquise, devenue maîtresse d’elle-même au point d’affecter un air compatissant ; où vous mènera ce fol attachement ? Le mariage de ma nièce avec M. Dornier est décidé.

— Il dépend de vous de le rompre, madame, et c’est pour vous supplier de le faire que je viens me jeter à vos pieds.

— C’est impossible. Je n’ai pas sur l’esprit de mon frère l’empire que vous croyez, et puis, vous allez me trouver une bien méchante femme, fût-il en mon pouvoir de rompre ce mariage, je dois vous avouer que je ne le ferais pas.

— Comment ai-je pu m’attirer votre haine ? s’écria le vicomte avec l’emphase naturelle aux amoureux.