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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/260

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REVUE DES DEUX MONDES.

— De ce que je ne me soucie pas de vous avoir pour neveu, s’ensuit-il nécessairement que je vous haïsse ? répondit Mme de Pontailly, qui accompagna ces paroles d’un regard si incisif, que Moréal ne put s’empêcher d’en remarquer l’expression.

— Veut-elle se moquer de moi, se dit-il, ou bien aurait-elle la fantaisie de m’offrir une indemnité ? Ces coquettes en retraite ont quelquefois des idées si bizarres !

— Je vais vous parler avec une entière franchise, reprit la tante d’Henriette.

— C’est-à-dire qu’elle va mentir à outrance, pensa le vicomte.

— J’aime beaucoup ma nièce, continua la marquise en justifiant dès le premier mot l’impertinente prédiction de son interlocuteur ; je désire vivement qu’elle soit heureuse. Le serait-elle en vous épousant ? J’en doute.

— Madame, me croyez-vous capable…

— Laissez-moi m’expliquer. L’incompatibilité d’humeur, dont on s’est tant égayé lorsque c’était un motif de divorce, est un fait très réel et malheureusement trop fréquent. En ménage, la première condition du bonheur est l’accord parfait non-seulement des cœurs, mais aussi des intelligences, et cet accord exige toujours une sorte d’égalité. Ici, où serait l’égalité ? Henriette est jolie assurément, ou plutôt elle a la beauté de son âge ; mais son esprit est fort ordinaire…

— Fort ordinaire ! madame, interrompit le vicomte en maîtrisant avec peine son indignation ; c’est ravissant, c’est étincelant qu’il faut dire. Fort ordinaire ! mais son esprit surpasse encore sa beauté.

— À vos yeux, cela doit être ainsi, reprit Mme de Pontailly d’un air un peu dédaigneux ; mais dans quelque temps, lorsque l’illusion se serait envolée, que resterait-il de votre divinité d’aujourd’hui ? Une femme comme on en voit tant, frivole, vulgaire, insignifiante, sans cesse occupée d’intérêts mesquins, incapable en un mot de donner la réplique à votre intelligence.

— Oh ! si j’osais, quelle réplique je donnerais à ton impertinence ! se dit Moréal en se mordant la moustache pour soulager son dépit.

— Qu’arriverait-il alors ? continua la marquise ; le prestige détruit, vous feriez ce que font tous les hommes en pareil cas, vous chercheriez hors de votre maison l’illusion que vous auriez cessé d’y trouver. Cette pauvre Henriette serait malheureuse alors, et moi je ne me pardonnerais jamais d’avoir contribué à son malheur.

— Madame, je vous jure…

— Vous-même, poursuivit Mme de Pontailly sans s’arrêter à cette