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Sans se laisser intimider par la gravité inaccoutumée de son oncle, Henriette lui saisit le bras et l’attira à l’écart.

— Ils vont se battre ! lui dit-elle tout bas d’une voix altérée.

— Ça les regarde, répondit brusquement le marquis.

— Ô mon oncle ! je croyais que vous m’aimiez, reprit la jeune fille, qui serra si énergiquement le bras du vieillard, qu’il ne put retenir une légère grimace.

— Mordieu ! s’écria-t-il en se frottant la partie froissée, si tu m’aimais toi-même, tu aurais plus d’égards pour mon rhumatisme.

— Mais je vous dis qu’ils vont se battre !

— Et je les laisserai faire, si tu ne vas pas tout de suite te mettre au piano.

— Je vous obéis, mon oncle, mais vous me jurez…

Au lieu de répondre, M. de Pontailly mit le bras de sa nièce sous le sien, et il la conduisit ainsi jusqu’à la chambre où elle prenait ses leçons ; il revint ensuite au salon, où il retrouva les deux adversaires, qui depuis son arrivée avaient gardé le silence, quoiqu’ils échangeassent un regard de défi qui semblait devoir durer indéfiniment, aucun des deux ne voulant baisser les yeux devant l’autre.

— Maintenant à nous trois, dit le vieillard en refermant la porte. Avant tout, monsieur Dornier, je vous dois une réparation ; l’autre jour je vous ai pris pour un poltron ; rien qu’à votre mine de coq de combat, je vois que je me suis furieusement trompé. Je vous prie donc d’agréer mes excuses.

— Vous n’avez nul besoin d’excuses, monsieur le marquis, répondit Dornier en s’inclinant ; les apparences me condamnaient. J’espère, ajouta-t-il d’un air gourmé, que M. de Moréal connaît la raison qui m’a privé du plaisir de le rencontrer samedi.

— Je la connais, répondit le vicomte avec non moins de hauteur, et, comme j’ai partagé l’erreur de M. de Pontailly, je partage également le regret qu’il vient de vous exprimer.

— Vous pensez sans doute, comme moi, que certaines parties n’admettent aucune remise ? Demain matin, le temps sera, selon toute apparence, fort beau pour la promenade…

— Un moment, interrompit le marquis ; je suis le président d’âge, et c’est à moi de diriger les débats. Dites-moi d’abord comment vous êtes sorti de prison ?

— J’ai quelques amis qui ne manquent pas de crédit, répondit Dornier avec une négligence affectée.

— Ils m’ont privé du plaisir de m’employer à votre service. Je