Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
UN HOMME SÉRIEUX.

viens d’apprendre à la préfecture qu’on vous avait élargi ainsi que mon neveu. Qui a pu s’intéresser à cet étourdi ?

— Il est possible que les ministres, en rendant la liberté à Prosper avant toute sollicitation, aient eu l’intention de tirer une lettre de change sur la reconnaissance de M. Chevassu.

— La reconnaissance de M. Chevassu ! honnêtes ministres ! Je crois qu’il leur faudra accepter eux-mêmes une lettre de change un peu moins idéale, s’ils tiennent à toucher le cœur de mon beau-frère. Et qu’est devenu Prosper ?

— Je l’ai laissé à l’hôtel Mirabeau, où il a dû changer de vêtement, tandis que j’allais en faire autant de mon côté, car trois jours de prison nécessitent quelques frais de toilette. Du reste, monsieur le marquis, vous ne tarderez pas à le voir : nous nous sommes donné rendez-vous ici.

— Eh, pardieu ! ce doit être lui qui arrive, dit le vieillard en entendant ouvrir et fermer avec fracas la porte du premier salon.

C’était en effet l’étudiant en droit qui s’annonçait de cette manière retentissante. Autant Dornier avait mis de soin à faire disparaître les vestiges de sa captivité, autant Prosper Chevassu s’était efforcé de conserver sur sa personne l’empreinte d’un évènement qu’il regardait comme le plus glorieux de sa vie. Aux moustaches qu’il portait déjà il avait résolu de joindre la barbe, cette coquetterie des prisonniers, en commémoration de ce qu’il nommait tragiquement ses soixante heures de cachot. Comme il ne s’était pas rasé depuis la veille de son départ de Douai, il y avait six jours de cela, et qu’en outre il venait de rehausser d’une légère couche de cosmétique le naissant ombrage de son menton, sa figure commençait à tourner au noir d’une manière fort satisfaisante.

En entrant, Prosper se dirigea d’un air d’empressement vers M. de Pontailly, échangea avec lui une cordiale poignée de main, et salua ensuite Moréal d’un air moins hostile que celui-ci ne s’y attendait.

— Mon oncle, dit-il alors, me permettez-vous d’ouvrir les fenêtres ? Quand on sort d’un cachot, on aime à respirer l’air de la liberté.

— C’est inutile, car nous ne restons pas ici, répondit le vieillard. Mme de Pontailly va rentrer ; la séance académique ne tardera pas à s’ouvrir, et nous avons une autre antienne à chanter. Passons dans mon cabinet, nous ne serons pas dérangés.

En entrant dans la pièce dont parlait le marquis, l’étudiant com-