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mença par ouvrir les deux fenêtres, puis il s’étendit sans façon sur un divan.

— Vous permettez, mon oncle ? dit-il après avoir cherché la position la plus comfortable ; lorsqu’on a couché pendant trois nuits sur un lit de camp privé de toute espèce de matelas, on apprécie la douceur de ces coussins élastiques.

— La préfecture de police a donc fait de toi un sybarite ? répondit M. de Pontailly en riant ; allons, pendant que tu es en train de te dorloter, demande tout de suite ce qu’il te faut. Veux-tu des cigares ? veux-tu un verre de mon fameux vin, tu sais, celui dont tu parles dans ta lettre ?

— Merci, mon oncle ; ce serait trop de jouissances à la fois ; le vin de Johannisberg à dîner, les cigares ce soir en faisant un tour sur le boulevard, et pour le moment le plaisir de causer avec vous, étendu sur ce moelleux divan, voilà, au sortir des cachots…

— Laisse-nous en paix avec tes cachots, et, puisque tu n’as besoin de rien, fais-moi l’amitié de te taire. Vous, messieurs, veuillez vous asseoir et m’écouter.

Dornier et Moréal prirent chacun un siége ; le marquis s’assit lui-même et reprit la parole du ton d’un officier qui gourmande ses soldats.

— Monsieur Dornier et toi, Chevassu, vous deviez tous deux vous battre avec M. de Moréal ; vous, Moréal, vous étiez tout prêt à batailler avec ces messieurs : or, je vous déclare, foi d’ancien hussard de Berchiny, que pas une goutte de sang ne sera versée entre vous.

— Monsieur ! dirent en même temps le vicomte et Dornier.

— Silence ! je n’ai pas tout dit. Prosper, c’est à toi que je parle en ce moment.

L’étudiant quitta sa pose abandonnée et se mit lestement sur son séant.

— Tu vas me donner ta parole d’honneur de vivre en paix avec Moréal, continua le vieillard ; entre vous deux, il n’y a pas même l’ombre d’un sujet de dispute, et rien n’est ridicule et méprisable comme un duel sans motif sérieux. Si tu refuses, je te préviens que nous serons brouillés pour la vie.

— J’y perdrais trop, répondit l’élève en droit d’un air de bonne humeur, et vous-même, mon cher oncle, vous regretteriez peut-être quelquefois de n’avoir plus votre jacobin à morigéner. Moréal, voulez-vous me donner la main ?

— De tout mon cœur, mon cher Prosper, répondit le vicomte en se levant avec empressement.