Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
UN HOMME SÉRIEUX.

— Bien, Chevassu ; voilà parler en brave garçon ; tu peux regarder tes dettes comme payées.

— Pour cela, mon oncle, permettez-moi de refuser ; c’est à mon père de payer mes dettes, et il les paiera, morbleu ! pas plus tard que demain ; je l’ai mis dans ma tête.

— En ce cas, je te donne mon alezan brûlé ; n’est-ce pas celui de mes chevaux que tu aimes le mieux ?

— Leporello ! j’en suis fou ; cette fois je n’ai pas l’héroïsme de refuser. Mille remerciemens, mon cher oncle ; vous me permettrez, n’est-ce pas, d’appeler Leporello Tribonien ou Papinien, de même que j’ai appelé Star Justinien. C’est un hommage que je rends aux Pandectes et au Digeste.

— Soit ; mais maintenant tais-toi. À nous deux, monsieur Dornier.

La réconciliation fort imprévue et en apparence sincère de Prosper et de Moréal avait attiré un nuage sur la physionomie du journaliste ; il regarda le marquis d’un air sombre, et attendit en silence qu’il s’expliquât.

— Ce que je dis à M. Dornier s’applique également à vous, Moréal, reprit M. de Pontailly ; tous deux vous visez au même but, et vous avez cru devoir prendre pour arbitre le sort des armes. Cela peut être fort chevaleresque, mais cela est absurde, car nous ne sommes plus au temps où l’on disputait le cœur des belles la lance à la main. Vous battre, c’est offenser ma nièce, et je vous jure qu’en ce cas vous ne l’épouserez ni l’un ni l’autre. Moréal, c’est vous, je crois, qui avez été l’agresseur ; dites à M. Dornier que vous regrettez ce qui s’est passé, et que vous retirez votre provocation ; pas d’hésitation, à moins que, plus malavisé que Prosper, vous ne vouliez vous brouiller avec moi.

La question ainsi posée, le vicomte ne pouvait que se soumettre ; il adressa donc au journaliste quelques paroles assez vagues, et celui-ci parut s’en contenter, car l’accent déterminé du marquis lui avait appris qu’il serait fort imprudent de se montrer intraitable.

— Voilà l’affaire arrangée. Qu’il n’en soit plus question, dit le vieillard en se levant ; maintenant, messieurs, je ne vous retiens plus. Le salon de Mme de Pontailly vous offre ses savans attraits. Je crois qu’aujourd’hui a lieu l’exhibition d’un naturaliste suédois, qui doit parler sur les palæothériums et les ptérodactyles. L’ombre de Cuvier en frémira dans sa tombe.

Les trois jeunes gens s’étaient levés. Dornier, qui depuis un instant semblait fort soucieux, dit à l’étudiant :