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REVUE DES DEUX MONDES.

— Venez-vous, Prosper ?

— Je vous rejoins dans un instant, répondit le fils du député.

Le journaliste salua M. de Pontailly, et sortit du cabinet sans regarder Moréal.

— Ah çà ! dit alors le vieillard à son neveu, est-ce que tu es en froid avec ton ami Dornier ?

— Dornier ? répéta Prosper en faisant une moue assez dédaigneuse ; encore une de mes illusions qui s’envole.

— Bah ! conte-nous cela ; Moréal n’est pas de trop.

— Quand je parle, personne n’est jamais de trop, car ce que je dis, je suis prêt à le soutenir.

— Mais Dornier…

— Je le croyais d’or, et il n’est que de plomb, de cuivre tout au plus.

— Parle clairement. Que t’a-t-il fait ?

— Ce que saint Pierre a fait à Jésus, si toutefois j’ose employer une pareille comparaison : il m’a renié.

— Renié ? dit Moréal.

— Voici l’histoire ; elle est de ce matin. Vous saurez d’abord que, pour être prisonnier, on n’abdique pas ses droits de citoyen ; à la préfecture de police, on parle politique, et même d’une manière assez distinguée. Il y avait, entre autres, un gros homme bien vêtu, prévenu je crois d’avoir fait de la fausse monnaie, qui dissertait, ma foi, à merveille. On aurait dit un membre de l’assemblée constituante. Je cause avec lui…

— Avec le faux monnayeur ? interrompit le marquis.

— Parbleu ! c’était, à part nous deux Dornier, ce qu’il y avait de mieux au dépôt. Nous causons donc, politique bien entendu ; une discussion de l’ordre le plus élevé s’engage, et bientôt on fait cercle autour de nous. Mon homme était républicain, je me flatte de l’être. Dieu merci ! et nous voilà de compagnie à démolir pied à pied le système bâtard qui nous gouverne. Nous obtenons un succès mérité, j’ose le dire ; pour ma part, j’ai eu des momens de verve dont mon père eût été jaloux. C’est à merveille. Quelque temps après, en me promenant, je me trouve derrière Dornier, qui causait avec un individu à mine papelarde : « Ce jeune homme qui parle si bien, disait celui-ci, c’est votre ami, n’est-ce pas ? Vous avez été arrêtés ensemble, et vous avez sans doute les mêmes opinions ? — Mon ami ! répondit Dornier ; je le connais à peine, et je ne partage nullement ses principes exagérés. » Voilà ce qu’a répondu le patriote Dornier.