Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
REVUE DES DEUX MONDES.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

en entrant sur le territoire bulgare, chez le peuple de la discipline et de l’ordre. Alors on peut en dessiner les lignes, le chaos se débrouille ; les hautes chaînes laissent entre elles des vallées larges comme des plaines, et les chaînes basses ne sont plus que des plateaux ondulés qui de gradin en gradin descendent vers la mer Noire, dont ils arrêtent les flots devant leurs remparts de rochers. D’autres branches encore plus abaissées se prolongent même à travers la Thrace, depuis les Balkans jusqu’au Bosphore et aux Dardanelles. Mais toutes ces montagnes bulgares n’offrent réellement qu’une continuation des montagnes serbes. Les unes et les autres sont géologiquement aussi inséparables que le sont politiquement les Serbes et les Bulgares ; les unes ne doivent qu’aux autres toute leur importance stratégique et commerciale. De même en est-il pour les deux peuples ; s’ils combinent leurs efforts, ils braveront du haut de leurs balkans toutes les invasions ennemies. Bien unis, ils pourraient, dans ces montagnes, soutenir le choc de l’Europe entière.

On conçoit dès-lors pourquoi le gouvernement serbe ne prend pas même, dans les jours critiques, la peine de se maintenir à Belgrad, et se retire aussitôt dans les montagnes, à Kragouïevats et à Roudnik, au milieu d’immenses forêts défendues par d’affreux précipices. Là les consuls et les émissaires des puissances ennemies, qui se disent protectrices, n’osent se hasarder, craignant la colère du peuple, et, s’ils la bravent encore, ils n’ont plus du moins dans ces solitudes autant de facilités pour ourdir leurs complots. À la vue de cette immense forteresse naturelle du Roudnik, les plus hardis pachas frissonnent. C’est là que Tserni-George, assailli à la fois par cent mille musulmans, se sentait inexpugnable, et c’est là que son fils, le prince Alexandre, depuis l’ultimatum de la Russie en mars 1843, s’est retranché avec l’héroïque Voutchitj, comptant sur l’appui moral qu’il devait attendre de l’Europe, dont il soutenait la cause contre le tsar.

Tous les pays serbes, à peu d’exceptions près, n’ont d’autres routes que des sentiers, souvent suspendus sur des précipices que le cavalier ne sonde pas sans frémir. De Kragouïevats à Skadar, et de Kladovo sur le Danube jusqu’à Serbitsa aux portes de Thessalie, ce sont de continuels défilés entre des chaînes plus ou moins escarpées et désertes. Il n’y a de chaussées pour les voitures que vers la frontière ; construites par l’Autriche pendant ses guerres du dernier siècle, elles ont été restaurées par Tserni-George ; l’une d’elles va de Belgrad à Zvornik en Bosnie par Chabats, mais elle traverse, sous Palech, les deux gorges appelées Douboko-Velko et l’immense forêt