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chambres ne comptaient pas assez avec lui. Il n’avait pas la direction et le gouvernement de la majorité : au lieu d’exercer cette initiative d’en haut qui appartient à un gouvernement fort et résolu, il s’est trop appliqué à suivre les volontés de ses amis, à s’en faire l’instrument. Cette attitude lui a donné dans l’opinion une place moins élevée que celle à laquelle il pouvait aspirer. Tranchons le mot : il a eu peur de la majorité, et il a eu tort d’en avoir peur, car la majorité, à son début dans la carrière législative, a bien montré qu’elle croyait difficilement pouvoir se passer de lui. La chambre aurait eu quelques momens d’humeur, comme le parlement anglais en a éprouvé à l’égard de sir Robert Peel ; mais en définitive elle lui aurait su gré d’une direction plus ferme et d’une session mieux remplie et plus utile au pays. Tout le monde y aurait gagné. La chambre et le ministère se seraient séparés en meilleurs termes et sans récriminations réciproques. Ces remarques ne sont peut-être pas inutiles à la veille d’une modification du cabinet. Il paraît certain que le ministère de la marine doit désormais être regardé comme vacant. La santé de M. l’amiral Roussin lui commande, dit-on, le repos le plus absolu de corps et d’esprit. Si le ministère s’adjoint, pour un département aussi important que celui de la marine et des colonies, un homme qui vienne confirmer, pour ainsi dire, le cabinet dans ses habitudes d’hésitation, de timidité, de résignation, il s’exposera, pour la session prochaine, au danger que doivent le plus redouter des hommes considérables et qui se respectent : au danger de tomber, non par la politique, mais par les affaires.

La crise qui agite l’Espagne n’aura pas, ce nous semble, une prompte issue. À la vérité, l’insurrection s’est de plus en plus étendue ; les esparteristes n’occupent plus que la capitale et un petit nombre de villes ; les insurgés s’organisent et préparent des coups décisifs. Toujours est-il que les corps d’armée que commandent Espartero, Van-Halen, Seoane et Zurbano, ne sont pas dissous, que le régent dispose toujours de forces redoutables, surtout en artillerie et en cavalerie, et qu’il est toujours maître de Madrid et gardien de la reine. L’issue de la lutte est donc incertaine ; cette longue incertitude s’explique par la constitution sociale de l’Espagne. On ne peut pas nier que le mouvement contraire à Espartero ne soit assez général ; il s’est propagé de Barcelone jusqu’à Séville et à Badajoz ; il a passé l’Èbre et envahi les provinces basques. Cependant le mouvement n’est pas national dans le sens strict du mot ; ainsi que tout ce qui se fait en Espagne, c’est là un fait essentiellement municipal. À la vérité, la plupart des villes suivent l’impulsion, adhèrent au pronunciamento ; mais il y a toujours quelque chose de local, de décousu dans un fait espagnol, quelque général qu’il soit. Dans un pays unitaire, un mouvement de la sorte aurait été du premier coup irrésistible ; il aurait éclaté à Madrid, ou bien les insurgés se seraient tous, par une pensée première et commune, jetés comme un torrent sur Madrid, pour y occuper le siége du gouvernement et y proclamer, par l’organe des cortès, la déchéance