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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/37

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UN HOMME SÉRIEUX.

enfin avoir mérité un repos qu’il eût été imprudent de lui refuser plus long-temps, elle le congédia philosophiquement, et le remplaça par les mules hargneuses du bel esprit ; après les délicieuses mélodies de la passion, l’harmonie de leurs grelots lui sembla d’abord un peu discordante ; mais elle s’y habitua et finit par s’y plaire. C’est ainsi que la marquise, aimant mieux quitter l’amour que d’en être abandonnée, de coquette était devenue bas-bleu, et cela systématiquement. Habituée au tourbillon du monde, elle n’eût pas supporté le délaissement où tombent les femmes qui ne savent rien substituer aux avantages de la jeunesse. Son esprit non moins que sa vanité redoutait la solitude. Il lui fallait un entourage, une cour, et, plutôt que d’y renoncer, elle se résigna de propos délibéré à en modifier les élémens. Dans son salon, les hommes aimables furent insensiblement remplacés par les hommes instruits, les séducteurs par les beaux esprits, les fats par les pédans. À l’époque où se passe ce récit, Mme de Pontailly, qui avait quarante-six ans, était franchement entrée dans son rôle de femme savante, et elle était résolue à filer cette nouvelle scène de sa vie jusqu’à ce qu’un autre changement de décoration devînt nécessaire. Ménagère de ses ressources, elle réservait pour son déclin la médisance, le jeu et la dévotion, ces trois vertus théologales des vieilles femmes.

Rien de plus régulier que l’existence de Mme de Pontailly pendant les sept mois de l’année qu’elle passait à Paris. À part le samedi, qui était son jour de réception, tous les soirs elle allait dans le monde. Le matin, à deux heures précises, elle montait en voiture et rendait des visites ; à quatre heures, non moins exactement, elle rentrait chez elle ; c’était le moment important de la journée, l’instant qui, pour la marquise, équivalait à celui où un roi constitutionnel réunit le conseil de ses ministres. Jusqu’à l’heure du dîner, Mme de Pontailly recevait dans son salon une cohue d’hommes célèbres à un titre quelconque ou d’aspirans en qui elle croyait reconnaître le germe de l’illustration. Membres des diverses académies, littérateurs français ou étrangers, savans chauves, poètes chevelus, chacun était le bien accueilli, pourvu qu’il apportât son tribut, obole intellectuelle, qui rappelait à la partie classique de cette docte réunion le péage perçu par Caron au bord du Styx.

Quel que fût l’engouement de la marquise pour les hommes qui, à tort ou à raison, lui semblaient avoir du talent, elle y apportait pourtant une certaine restriction, et sur un point surtout se montrait exigeante. Ainsi que le vieil émigré l’avait dit à Moréal, elle était