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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/38

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’une sévérité vétilleuse à l’égard de la toilette. Homère crotté, Dante mal vêtu, Shakspeare en sabots, eussent été assez mal reçus dans son sanctuaire, dont l’étiquette effarouchait surtout les artistes, race inculte et débraillée.

Quatre heures et demie venaient de sonner. Mme de Pontailly, vêtue d’une robe de velours noir et coiffée d’un riche bonnet orné de rubans incarnats, était assise sur une causeuse, à l’un des angles de la cheminée de son salon. Fort belle dans sa jeunesse, la marquise avait conservé un grand air, une tournure noble, et acquis cet embonpoint qui ne messied pas à la maturité. Sa figure rappelait celle de son frère ; c’était la même physionomie sérieuse, la même dignité un peu raide, et parfois emphatique.

Sur une demi-douzaine de chaises ou de fauteuils rangés en demi-cercle devant le feu siégeait un pareil nombre d’individus plus ou moins vieux et plus ou moins laids, qui tous, à en juger par leur attitude gourmée, semblaient se croire des demi-dieux en présence d’une divinité supérieure. C’étaient, dans l’ordre où ils se trouvaient assis à partir de la causeuse, un pair de France, l’homme politique du sextuor ; un historien dont le principal talent consistait à posséder la véritable prononciation des noms romans et tudesques ; un gentilhomme russe, despote dans ses terres, mais libéral à Paris ; un Italien, auteur de tragédies classiques, clair de lune d’Alfieri ; un général mexicain aussi muet que le techichi de son pays natal, mais qui, aux yeux de la maîtresse du logis, avait le mérite d’arriver de loin ; enfin un romancier, le plus jeune de tous, et l’un des entrepreneurs de la littérature échevelée qui avait cours à cette époque.

Chez elle, Mme de Pontailly avait l’habitude de conduire la conversation, à peu près comme le président de la chambre dirige les discussions politiques. Son ordre du jour était arrêté d’avance, et les interlocuteurs devaient s’y soumettre. Tel jour il fallait parler politique, tel autre littérature, tel autre beaux-arts, tel autre sciences exactes. Mme de Pontailly s’intéressait à tout, comprenait tout, parlait de tout ; mais, cette universalité n’étant pas le partage de tout le monde, malheur au poète qui arrivait le jour de la chimie, malheur au naturaliste qui tombait au milieu d’une conversation philologique : ils se trouvaient réduits au silence.

En ce moment, l’ordre du jour était la poésie. La marquise s’était promis d’examiner à fond dans la séance les mérites respectifs de M. de Lamartine et de M. Victor Hugo ; mais, malgré ses efforts, la discussion, jusqu’alors, ne répondait pas à ses espérances. Le thème