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UN HOMME SÉRIEUX.

choisi ne plaisait à personne. Le pair de France eût mieux aimé narrer les petites intrigues parlementaires que ranimait l’approche de la session ; l’historien mérovingien n’aurait pas été fâché de rectifier certaines erreurs touchant Hlodovigh ; le Russe, en fait de littérature française, en était encore à Voltaire et à Jean-Baptiste Rousseau ; l’Italien aurait volontiers parlé de ses vers, mais ceux des autres le touchaient peu ; le Mexicain savait à peine le français ; le faiseur de romans enfin méprisait la poésie, comme le renard de la fable les raisins.

— Que ces gens-là ont peu de souplesse et d’étendue dans l’esprit ! se disait la marquise, impatientée de voir à chaque instant languir la discussion, malgré ses efforts pour la ranimer ; tirez-les de leurs préoccupations habituelles, ils ne savent plus que dire. Ne viendrat-il donc aujourd’hui aucun de mes poètes ?

La porte s’ouvrit en ce moment, et M. de Pontailly parut, accompagné du vicomte de Moréal.

Quoiqu’il vînt rarement dans le salon de sa femme, le marquis en connaissait les mœurs, dont il se moquait parfois devant elle sans pitié. Dans l’antichambre, il avait dit à son protégé :

— Voici le moment de payer de votre personne. Le cénacle doit être assemblé ; si c’est jour de science sociale ou d’érudition, si l’on réforme le gouvernement ou si l’on commente Niebuhr, vous êtes à peu près sûr de manquer votre entrée ; mais si c’est jour de poésie, et j’en crois sentir le fumet, vous avez la partie fort belle. Mme de Pontailly vous demandera probablement de dire quelques vers ; il faudra vous exécuter.

— C’est que je récite fort mal, ainsi que vous avez dû vous en apercevoir.

— De l’assurance, et vous vous en tirerez. Vous êtes un joli garçon, et vous avez un timbre de voix agréable ; servez-vous de vos avantages ; on vous fera place à l’angle de la cheminée, en face de ma femme. C’est là la tribune. Posez-vous de trois quarts, dans une attitude modeste, mais pleine d’aisance ; une main dans votre gilet, l’autre pendant négligemment le long de la tablette. Défilez sans vous presser votre petit chapelet ; de temps en temps, un regard au plafond ; quand on a l’œil expressif, et vous l’avez, cela ne manque jamais son effet. Pas de fête romaine, surtout ! Quelque chose de gracieux, croyez-moi, et, si c’est possible, un hymne en l’honneur du beau sexe. Les femmes souffrent qu’on médise d’elles en prose,