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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/414

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REVUE DES DEUX MONDES.

capacités stériles, des établissemens pleins de sève frappés de paralysie ou de mort.

Telle qu’elle est, cependant, avec ses formes irrégulières et sa destination toute spéciale, par cela même qu’elle s’adapte à certaines situations données, la commandite convient mal aux situations communes. Comme elle attribue tous les pouvoirs à un seul homme, dans lequel on peut dire que la société se personnifie, elle veut au moins que la capacité personnelle de ce gérant domine le corps de l’association ; autrement le contrat devient abusif, en ce qu’il crée au profit d’un seul un droit exorbitant que rien ne justifie. Lorsque les associés possèdent des droits à peu près égaux, que nul ne se recommande d’une manière particulière et exclusive comme le gérant de l’entreprise ; que cette fonction peut être dévolue indifféremment à tel ou tel d’entre eux, ou seulement lorsque la société, s’étant formée sans l’intervention nécessaire d’un fondateur, s’appartient en quelque sorte à elle-même ; dans tous ces cas, et ils sont bien plus communs que ceux que nous avons mentionnés tout à l’heure, la prépondérance exclusive que la commandite attribue à son gérant devient une anomalie et presque une monstruosité. Quelle est donc la forme qui convient en pareil cas ? On l’a déjà compris, c’est celle de la société anonyme.

La société anonyme est la véritable association de notre temps, celle que les besoins actuels de l’industrie réclament et à qui l’avenir appartient. Tout le prouve, son origine récente, ses rapides succès pendant le court intervalle de temps où elle a été presque libre, les efforts que l’on a faits tant en Angleterre qu’en France pour la suppléer, et son immense propagation aux États-Unis, où elle a été moins entravée par l’autorité publique. Il suffit d’ailleurs de considérer sa nature pour voir combien elle entre dans l’esprit du commerce, et avec quelle facilité elle s’adapte à ses besoins.

Des capitalistes rassemblés de divers points vers un centre commun s’entendent pour concourir à une entreprise. Ils souscrivent chacun pour une somme quelconque, qu’ils déterminent eux-mêmes, d’après leurs convenances ou leurs moyens. Du montant de ces souscriptions ils forment un capital social en rapport avec l’objet qu’ils se proposent ; ils nomment les mandataires qui géreront ce capital dans l’intérêt commun, après quoi toutes leurs obligations sont remplies. Ils se sont rassemblés sans se connaître ; ils peuvent se séparer de même, unis par un même intérêt, mais entièrement libres d’ailleurs dans leurs personnes et dans leurs actes. Si quelque devoir leur reste, c’est un devoir de surveillance, toujours facile, dont ils peuvent s’acquitter de loin, ou même se dispenser à l’occasion. Là point de contrainte fâcheuse, puisqu’une fois sa mise versée, chacun rentre dans sa liberté ; point de responsabilité inquiétante, puisque nul ne peut être obligé au-delà de cet apport. Du reste, si parmi les associés il s’en trouve qui aspirent à diriger eux-mêmes les affaires communes, ou du moins à concourir activement à leur direction, ils peuvent encore y prétendre en se proposant au choix de leurs co-associés.