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— Je ne vous invite pas, répondit la marquise en prenant son plus grand air.

— Que vous êtes bonne, ma chère tante ! vous allez toujours au-devant de mes désirs.

L’étudiant s’inclina d’un air de moqueuse gratitude, et, content d’avoir mis sa tante de mauvaise humeur, il alla serrer cordialement la main de M. de Pontailly.

— Te voilà, bon sujet, lui dit le vieillard ; incorrigible, à ce que je vois. À l’air de ma femme, je devine que tu viens déjà de lui débiter quelque sottise ; tu as tort. On ne doit jamais se brouiller avec sa tante lorsqu’elle est riche et sans enfans, et, si tu continues, tu finiras par te brouiller sérieusement avec la tienne.

— Hélas ! c’est fait, répondit Prosper avec une contrition affectée ; disgracié par sa tante, proscrit par son père, telle est, pour le moment, la condition de votre infortuné neveu. Si vous lui fermez aussi vos bras, il ne lui reste qu’à mourir.

— Je ne te fermerai pas mes bras, mais je te donnerai un conseil. Un peu d’étourderie se fait excuser, trop finit par déplaire à tout le monde. Qu’as-tu fait encore à ton père ?

— Rien du tout ; je suis le modèle des fils ; c’est mon père, au contraire, qui outrage toutes les lois divines et humaines. Ne parle-t-il pas de me mettre en pension ?

— Il a raison ; si j’étais à sa place, il y a long-temps que cela serait fait.

— Vous, mon oncle, c’est bien différent.

— En quoi ?

— Vous êtes de l’ancien régime, et une mesure despotique ne serait qu’une application de vos principes ; mais mon père, un député du côté gauche, attenter à la liberté d’un citoyen, car je suis un citoyen…

— Pas encore, maître Prosper ; d’ailleurs, citoyen ou non, un fils doit avant tout obéir à son père.

— Ah ! vous recevez M. de Moréal ? dit en changeant de conversation l’étudiant, qui venait d’apercevoir le vicomte.

— Il est mon ami, répondit le vieillard, qui appuya sur ce mot, et je désire qu’il devienne le tien. Vous vous connaissez déjà, je crois ?

— Oui, nous nous connaissons, dit Prosper, dont la physionomie était devenue soudain fort sérieuse.

— Dans le salon de ta tante, c’est à toi de le prévenir ; va lui parler.

— Vous venez de me dire qu’un fils doit avant tout obéir à son