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laisser percer sur son visage ce sentiment de haineuse hostilité, elle affecta, en abordant sa nièce, la plus tendre sympathie.

— Eh bien ! ma pauvre enfant, lui dit-elle, es-tu un peu remise de l’assaut que nous avons essuyé ce matin ? Pour ma part, ce coup d’état m’a tellement déconcertée, que dans le premier moment je n’ai pas su résister comme je le ferais maintenant ; mais sois tranquille : dans quelques jours l’humeur de ton père sera calmée, et alors j’aurai moins de peine à lui faire entendre raison. Nous te rendrons la liberté, ma bonne Henriette ; tu peux t’en fier à moi.

Avertie par un instinct secret du peu d’affection que lui portait sa tante, et instruite de sa duplicité par Moréal, Henriette accueillit par un froid silence ces paroles, dont l’accent affectueux eût pu la tromper quelques jours auparavant.

— Comment te trouves-tu ici ? continua la marquise du même ton.

— J’ai déjà été en pension, répondit laconiquement la jeune fille.

Mme de Saint-Arnaud passe pour une excellente femme.

— Je le souhaite pour ses pensionnaires.

— Tu veux dire que tu espères ne pas rester chez elle assez long-temps pour apprécier ses défauts ou ses qualités. Tu as raison. Bientôt, j’en suis sûre, ton père consentira à ce que tu reviennes chez moi.

— Mon père est le maître.

— Je voudrais qu’il t’entendît, cette soumission le toucherait ; mais je lui rapporterai tes paroles.

— Pourquoi ennuyer mon père en lui parlant de moi ? répondit Henriette avec un sourire d’amertume.

— Tu as du chagrin, ma pauvre enfant, reprit Mme de Pontaiîly d’une voix de plus en plus caressante ; je te croyais plus raisonnable. Lorsqu’on m’a dit que tu étais au jardin, cela m’a fait plaisir. J’espérais que la gaieté des autres pensionnaires aurait fini par te distraire ; mais loin de là, je te trouve à l’écart, pensive et triste : on m’a dit que tu n’avais pas encore dit un mot à ces demoiselles. Pourquoi cela ?

— Je n’ai rien à leur dire. Elles paraissent heureuses, et je ne le suis pas.

La jeune fille prononça ces paroles avec une sombre fierté qui frappa la marquise.

— Elle a du caractère, se dit cette dernière ; elle est capable de prendre au tragique l’inconstance de mon poète. N’importe, il faut