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UN HOMME SÉRIEUX.

en finir. Ma chère enfant, reprit-elle à haute voix, j’ai quelque chose de fort important à te dire, mais l’abattement où je te vois…

— Je ne suis pas abattue, interrompit Henriette en fixant sur sa tante un regard étincelant ; quoi que vous ayez à me dire, je suis prête à vous entendre.

En parlant ainsi, les deux femmes avaient traversé une partie du jardin, et étaient arrivées près d’un banc adossé contre un des tilleuls, en dehors de l’allée. Ce banc, où Mme de Saint-Arnaud se plaçait quelquefois pour surveiller les jeux de ses pensionnaires, était si rapproché du belvédère, que, lorsque la marquise et sa nièce s’y furent assises, Moréal, toujours en observation, ne perdit plus un seul de leurs gestes et put presque entendre leurs paroles.

— Ma pauvre Henriette, reprit Mme de Pontailly avec un accent de compassion, à ton âge, on se fait bien des illusions. Loyale et sincère soi-même, on croit à la loyauté et à la sincérité des autres ; ouvre-t-on son ame à un sentiment aussi dangereux que séduisant, alors surtout on risque de devenir la victime de sa candeur, car il est rare qu’on ne mette pas dans cette imprudence un abandon qui peut être la source des plus grands malheurs.

Henriette écouta ce préambule d’un air distrait, sans paraître deviner où sa tante voulait en venir.

— Tu ne m’as pas laissé ignorer l’état de ton cœur, poursuivit la marquise en précisant la question ; le désir de contribuer à un mariage auquel tu paraissais attacher ton bonheur m’a fait faire une démarche peu conforme à mes habitudes. Aujourd’hui, j’ai vu M. de Moréal.

— Ah ! vous avez vu M. de Moréal, dit la jeune fille, dont la figure, sombre jusqu’alors, s’éclaira soudain.

— Nous avons eu un entretien sérieux, reprit Mme de Pontailly avec une gravité de mauvais présage.

— Eh bien ? s’écria Henriette, emportée par une curiosité plus vive que la réserve hautaine qu’elle s’était imposée jusque-là.

— Il m’en coûte d’être obligée de te dire que mon épreuve, car c’était une épreuve, n’a pas eu le résultat que j’espérais. D’après l’exaltation de tes sentimens, je croyais trouver dans M. de Moréal un amant d’exception, un être au-dessus des faiblesses vulgaires, un héros de persévérance et de fidélité.

— Eh bien ? répéta la jeune fille d’une voix un peu altérée.

— Eh bien ! mon enfant, il faut t’armer de raison et de courage ; le héros n’est qu’un homme.