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UN HOMME SÉRIEUX.

père ; le mien, si je le consultais, me défendrait de me lier avec M. de Moréal ; cependant, puisque cela peut vous plaire, je vais le saluer.

L’étudiant se dirigea vers le vicomte, qui l’accueillit par un sourire amical.

— Vous vous rappelez notre entretien de ce matin ? lui dit-il en fronçant le sourcil ; à quand notre petite promenade à Saint-Mandé ?

— Comment ! mon cher Prosper, dit Moréal, vous persistez…

— L’entêtement est contagieux. Serez-vous libre demain matin ?

— Non. Après-demain si vous voulez.

— Après-demain soit. À huit heures du matin, à l’entrée du bois, des épées, chacun un seul témoin.

— C’est convenu, dit le vicomte d’un ton calme. Les deux jeunes gens se séparèrent.

Un instant après, Moréal se rapprocha sans affectation d’André Dornier, qui faisait semblant d’examiner un album dans l’embrasure d’une fenêtre.

— Monsieur, lui dit-il d’un air hautain, je viens vous demander l’explication du regard que vous avez fixé sur moi lorsque je disais mes vers.

— Quand je suis au théâtre, j’ai l’habitude de regarder les acteurs, répondit Dornier d’un ton non moins dédaigneux.

— Vous n’êtes point au théâtre, et je ne suis pas un acteur. Permis à vous de trouver mes vers détestables, mais à vous défendu de me regarder insolemment.

— Je n’ai pas attendu votre permission, et voici comment je réponds à votre défense.

André Dornier arrêta sur le vicomte un regard de défi, et ils échangèrent pendant un instant une provocation muette, mais passionnée.

— Fort bien, reprit Moréal, vous comprenez à demi-mot ; nous visons au même but, et nous nous gênons mutuellement. L’un de nous est de trop.

— Si c’est un duel qu’il vous faut, je suis à vos ordres.

— Demain matin à huit heures, à l’entrée du bois de Vincennes ; je vous laisse le choix des armes.

— C’est bien, je serai au rendez-vous ; mais quittons-nous, M. de Pontailly nous surveille.

Les deux rivaux composèrent leurs physionomies et se séparèrent d’un air tranquille.