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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/50

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REVUE DES DEUX MONDES.

Six heures allaient sonner, et le salon se vidait peu à peu. Malgré son désir de prolonger sa visite et d’échanger encore avec la jeune fille qu’il aimait quelques-uns de ces regards fugitifs qui, dans le monde, sont souvent le seul bonheur permis à la passion, Moréal comprit qu’il fallait se retirer. Il prit congé de la marquise, qui lui octroya de la manière la plus gracieuse le droit de revenir, renouvela ses remerciemens à son protecteur, et, après avoir contemplé Henriette une dernière fois, il sortit. Dornier se retira un instant après, accompagné de Prosper, qui était trop orgueilleux pour essayer de rentrer en grace près de son père et de sa tante.

IX.

Lorsque les deux amis furent dans la rue, Prosper dit à Dornier :

— Je me bats après-demain.

— Et moi, demain, répondit le journaliste.

— Avec Moréal ?

— Oui ; et vous, avec qui ?

— Pardieu ! toujours avec Moréal. Il m’avait bien dit ce matin, l’endiablé qu’il est, qu’il s’arrangerait de manière à commencer avec vous.

Prosper raconta l’entretien qui avait eu lieu dans l’estaminet.

— Mais je n’en aurai pas le démenti, dit-il en finissant ; ce matin je n’avais pour mobile que mon amitié pour vous et le désir de reconnaître en une fois les services que vous me rendez en toute occasion ; maintenant, c’est pour moi une question d’amour-propre. Si, après avoir été prévenu, je me laissais escamoter mon duel, ce petit monsieur aurait trop le droit de se moquer de moi. Vous allez me promettre de me laisser passer le premier.

Les journalistes, en province surtout, sont exposés assez souvent à d’autres combats que ceux de la polémique. Lorsqu’il était entré dans cette carrière, Dornier en avait accepté les charges, et deux fois déjà il avait été obligé de quitter la plume pour l’épée. D’ailleurs, s’il n’était pas duelliste, il ne manquait point de courage, et, quoiqu’il se fût difficilement décidé à se battre sans y être pour ainsi dire contraint moralement, une fois son parti pris, il se présentait de bonne grace sur le terrain. En cette occasion, il avait délibérément accepté la provocation du vicomte, qu’il regardait comme le plus sérieux obstacle à ses projets, parce que le but lui semblait assez tentant