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REVUE DES DEUX MONDES.

Ni Robichon pour Mariette,
Ni pour Agnès ni pour Perette,
Mais nous a faits, beau fils, n’en doutes,
Toutes pour tous et tous pour toutes,
Chacune pour chacun commune,
Et chacun commun pour chacune.

Bel-Accueil, après quelques façons, cède au discours de la vieille, et permet à l’Amant de venir le trouver dans la tour. Celui-ci y pénètre en effet. Il y trouve Amour et Doux-Regard, et enfin Bel-Accueil lui-même, fort disposé à lui complaire. Mais Dangier, Peur, Honte, accourent encore une fois et le repoussent. Ici Jean de Meun montre peu d’invention, car il se borne à reproduire une imagination allégorique assez simple de Guillaume de Lorris. Les trois personnages battent l’Amant, qui leur crie merci, et demande à être mis en prison avec Bel-Accueil ; mais Dangier répond sagement que ce serait enfermer le renard dans le poulailler. Heureusement pour le pauvre Amant, Amour vient à son aide avec tous ses barons. Un assaut en forme est donné à la tour. La victoire était incertaine, quand Vénus arrive en auxiliaire, portée sur son char, que traînaient huit colombes.

L’auteur suspend tout à coup son récit pour parler de Nature. Durant cent pages environ, la Rose, Bel-Accueil, l’Amant, le combat, sont oubliés, et tout cet espace est rempli par une digression de près de cinq mille vers, et qui forme comme un poème scientifique et philosophique introduit dans le corps de la narration allégorique. C’est ainsi qu’un traité de métaphysique panthéiste, le Bagavatgita, inséré dans le corps du Mahabarata, l’une des deux grandes épopées de l’Inde, interrompt le récit précisément de la même manière, c’est-à-dire au moment où va commencer un combat.

Cette partie de l’ouvrage de Jean de Meun est la plus curieuse ; car c’est là qu’oubliant complètement le sujet primitif du poème, dans une composition qui forme un tout à part du reste et qui est entièrement sienne, il a déposé tout ce qu’il avait et voulait montrer de connaissances dans la physique, l’astronomie et l’alchimie, et de plus un système de philosophie matérialiste d’une hardiesse souvent incroyable, et qu’on ne s’attend pas à rencontrer au moyen-âge. Il montre d’abord Nature qui s’occupe, dans sa forge, à fabriquer les moyens de continuer les espèces, pour résister à la Mort. Jean de Meun peint avec une remarquable énergie la grande chasse de la Mort, qui poursuit les êtres avec sa massue, et la fuite des êtres qui