Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
UN HOMME SÉRIEUX.

de Dornier, dont il s’était fait une si agréable habitude, que désormais il ne pouvait plus s’en passer.

— Il m’avait cependant promis de venir ce matin, se disait le député en relisant les feuillets de son improvisation. Qui peut le retenir ? Ce n’est pas que j’aie besoin de lui le moins du monde, mais je serais bien aise de connaître son opinion sur mon discours.

Au bruit de la porte qui s’ouvrait, M. Chevassu tourna la tête, s’attendant à voir paraître Dornier ; lorsqu’il eut reconnu son beau-frère, sa figure prit une expression de contrariété qu’il ne dissimula qu’avec peine.

— Quel honneur inattendu, monsieur le marquis ! dit-il d’un air pincé en faisant mine de se lever,

— Restez donc, répondit M. de Pontailly d’un ton de cordialité ; entre nous, doit-il être question de cérémonies ?

— Veuillez vous asseoir, reprit le député avec la dignité d’un ministre qui donne une audience.

— Arrivé d’hier et déjà au travail ! dit le vieillard en prenant un fauteuil.

— Je n’ai pas comme vous, par droit de naissance, le privilége de ne rien faire.

— Votre naissance ! mais elle est, parbleu, fort bonne, répliqua le marquis avec un sourire équivoque ; trois cents ans d’excellente roture, m’avez-vous dit ?

— Quatre cents, dit M. Chevassu, qui laissa tomber ces paroles d’un air de superbe insouciance.

— Peste ! s’il était encore d’usage de faire ses preuves de 1399, vous pourriez presque monter dans les carrosses de notre royauté bourgeoise.

— J’ai la présomption de croire qu’en ce cas je pourrais me passer de mes ancêtres.

— Je sais qu’un homme de votre valeur se recommande par lui-même…

— Et surtout n’attache aucun prix aux hochets de la vanité. Une vie laborieuse et, j’ose l’espérer, utile à mes concitoyens, voilà mon lot ; l’estime publique, voilà mon but.

— Il se croit déjà à la tribune, pensa le vieillard, qui reprit tout haut : Une justice à vous rendre, c’est que vous marchez à ce but sans vous accorder le moindre repos. Toujours à l’œuvre ; mais que faites-vous là ? un discours écrit, je suppose ? Je croyais que vous improvisiez.