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— Un discours écrit ! dit le député en jetant négligemment son manuscrit dans un des casiers du bureau ; non vraiment, j’ai une assez grande habitude de parler en public pour avoir quelque confiance en ma facilité d’élocution. Ce sont tout bonnement des notes pour une affaire particulière dont je dois conférer avec Dornier, qui devrait déjà être ici.

— Ah ! vous attendez M. Dornier ? reprit le marquis, empressé d’aborder le sujet de sa visite ; je serai charmé de le rencontrer, car voilà plus de quatre heures que je cours après lui ; mais êtes-vous bien sûr qu’il vienne ?

— Ce serait la première fois qu’il manquerait à un rendez-vous.

— À ma connaissance, ce serait au moins la seconde.

— Avec moi, pourtant, il est fort exact ; il sait que je n’aime pas attendre.

— En cela, tout député de la gauche que vous êtes, vous ressemblez à Louis XIV. Pour en revenir à notre homme, il se peut en effet qu’une liasse de papier lui paraisse moins terrible que la pointe d’une épée ; ainsi, peut-être viendra-t-il, et je vais l’attendre.

— Comment parlez-vous d’épée à propos de Dornier ?

— Comme on parle de poudre à propos de lièvre.

— Lièvre… Voilà une expression…

— Peu parlementaire, j’en conviens, mais parfaitement appropriée au sujet. Je suis venu ici, mon cher beau-frère, pour vous prévenir que votre ami Dornier n’est autre chose qu’un drôle, un poltron, un lâche que je mettrai ignominieusement à la porte de chez moi, s’il ose désormais s’y présenter.

— Qu’a-t-il donc fait ? dit le député en regardant le marquis d’un air d’étonnement.

— Demandez plutôt ce qu’il n’a pas fait. Hier, chez moi, vous y étiez, il se dispute avec Moréal pour un motif que vous devinez peut-être. Rendez-vous pris pour ce matin ; à huit heures, nous sommes sur le terrain, le vicomte et moi ; point de Dornier. Une heure, deux heures se passent, point de Dornier. Nous revenons à Paris, et nous allons le chercher à son hôtel ; point de Dornier : le drôle a délogé hier au soir, tant lui semble précieuse la conservation de sa personne. Que dites-vous de cela ?

— Ce que je dis ? répondit avec gravité M. Chevassu, je dis que dédaigner les provocations d’un duelliste, c’est le fait d’un homme sage et honorable. Si Dornier avait commis la folie insigne de se battre avec M. de Moréal, je ne la lui aurais jamais pardonnée.