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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/644

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manifestation de tous les besoins réels, de toutes les forces vives, et d’assurer en définitive la pondération normale des intérêts. Les intérêts matériels ont été en Angleterre, ils le seront partout où existera la forme représentative, la clientelle remuante et puissante des intérêts politiques. On comprend mieux que telle est la cause de la merveilleuse fortune qu’ils y ont faite, lorsqu’on jette un coup d’œil sur l’histoire lamentable de ces intérêts chez les peuples où ils furent livrés à l’arbitraire ignorant et à la prodigue insouciance du despotisme. Que d’enseignemens douloureux offre le passé de la France, lorsqu’on l’étudie à ce point de vue ! Obligée de traverser l’intermédiaire de la monarchie absolue, la France n’accomplit qu’aux dépens de ses intérêts matériels le travail de son organisation nationale et de son unité politique. Toujours instinctivement et sûrement instruits par leurs besoins, les représentans de ces intérêts étaient aussi éclairés chez nous qu’en Angleterre ; on voit néanmoins le pouvoir absolu, absorbé par les nécessités présentes ou entraîné par de ruineuses fantaisies, les sacrifier presque en toute circonstance aux expédiens ou à la routine[1].

Les choses ne se passèrent pas ainsi en Angleterre ; mais, depuis la révolution de 1688 surtout, les nécessités politiques y contraignirent plus fortement encore le pouvoir à seconder, à précipiter même l’essor naturel du commerce et de l’industrie. Les grandes guerres

  1. On trouve souvent exprimés dans les discours prononcés aux assemblées des notables sur des questions de finance et de commerce, à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, ainsi que dans des mémoires rédigés à la même époque par les négocians, les principes les plus sains et les plus avancés d’économie politique, vaines protestations qui échouaient contre l’ignorance, les passions mauvaises, souvent même contre les besoins immédiats et l’impuissance réelle du gouvernement. Colbert lui-même ne put abolir la douane de Lyon, cette coutume qui obligeait presque toutes les marchandises, matières premières ou manufacturées, qui sortaient de l’est et du midi de la France, ou qui y étaient importées, à passer par Lyon pour y acquitter des droits exorbitans. Que l’on se représente les camelots de Lille prenant le chemin de Lyon pour se rendre à Bayonne, et l’on comprendra ce qu’il y avait de monstrueusement absurde et de mortel au commerce dans cette loi barbare. La douane de Lyon eut une sœur cadette non moins vexatoire qu’elle dans la douane de Vienne, devenue plus tard douane de Valence. Celle-ci obligeait toutes les marchandises venant tant de l’étranger que de la Provence, du Languedoc, du Vivarais, du Dauphiné, etc., pour aller à Lyon, soit par eau, soit par terre, ou allant de Lyon dans ces provinces, à passer par Vienne, et dans la suite par Valence. Elle fut établie par Henri IV. Elle n’était destinée, dans l’origine, qu’à fournir au gouverneur de Vienne le montant d’une somme stipulée pour la reddition de la place entre les mains du roi. On le voit, l’industrie et le commerce payaient durement les frais de l’affranchissement du pouvoir monarchique.