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REVUE. — CHRONIQUE.

spirer des inquiétudes à ses voisins ? Il paraît après tout que les Espagnols n’ont qu’un moyen de sortir d’embarras : c’est un mariage de famille. Il est à Madrid et à Naples des princes dont l’avènement au trône d’Espagne ne changerait en rien la situation politique de la monarchie et ses rapports avec les puissances étrangères. Nous ne parlons pas du fils de don Carlos ; on sait qu’il apporterait des prétentions que l’Espagne ne peut admettre. La couronne appartient à Isabelle : elle ne peut la recevoir du fils du prétendant.

O’Connell continue ses travaux, toujours actif, toujours prudent, toujours habile et spirituel. Sa verve est inépuisable. Il traite les choses et les hommes avec un sans-façon admirable, et il n’est pas prudent pour tout le monde d’avoir M. O’Connell pour biographe ou pour correspondant.

Mais ce n’est pas là le côté sérieux de la question. Ce qu’il y a de sérieux, ce qui est tout-à-fait digne d’attention, c’est la position qu’ont prise l’un à l’égard de l’autre, d’un côté O’Connell, c’est-à-dire l’Irlande catholique, de l’autre le gouvernement anglais. Cette position s’est dessinée bien nettement dans les dernières séances du parlement. S’il pouvait rester quelques doutes sur les vues et les tendances des deux parties, la motion de lord Brougham les aurait complètement dissipés.

L’Irlande ne veut point d’insurrection, de lutte à main armée ; elle repousse toute accointance avec les révolutionnaires, de quelque pays qu’ils soient ; elle remercie les uns avec une froide politesse ; elle renvoie les autres avec dédain ; elle veut être seule, car sa cause lui est toute particulière. Nul ne se trouve dans son cas, car elle ne cherche pas des utopies, elle ne réclame que son droit ; elle veut que sa religion, que la religion de ses pères, que la croyance à laquelle rien n’a pu l’arracher, ne lui soit plus une cause d’oppression, de spoliation et de misère : l’Irlande n’en demande pas davantage ; elle ne veut rien enlever à l’Angleterre et moins encore à la reine qu’elle aime, qu’elle vénère.

De son côté, le gouvernement anglais a aussi pris un parti, et ce parti, nous l’en félicitons, c’est le parti de la modération et de la paix, c’est dire le parti de sages et progressives concessions qui ne se feront pas long-temps attendre. Le ministère anglais ne veut pas une collision. Il sent que ce n’est pas à coups de fusil, avec du sang, qu’on peut arracher à l’Irlande une pensée qui est sa vie, des espérances qui sont ses droits. Repeal ne signifie pas séparation, parlement irlandais ; il signifie justice, équité. L’Angleterre le sait, mais quand le parlement anglais le proclamera-t-il ? C’est là toute la question ; c’est une question de temps et de prudence politique. Le résultat n’est pas douteux, pas plus que n’était douteuse l’émancipation des catholiques il y a vingt ans. Personne ne savait au juste l’année où ce grand acte de justice serait accompli ; mais il n’y avait pas un homme d’état qui doutât de l’accomplissement. Dans les temps où nous vivons, il est des questions qui sont résolues par cela seul qu’elles sont soulevées : ce sont celles dont la solution affirmative est de stricte justice. C’est la gloire de notre époque. On