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sortir aux flambeaux de l’hôtel-de-ville avait tout-à-fait le caractère d’une représentation du moyen-âge : les costumes étaient ceux de la cour de René ; les chevaux, harnachés comme dans les anciens tournois, étaient montés par des chevaliers armés de pied en cap, et les musiciens jouaient encore sur leurs galoubets les airs notés par le roi troubadour.

Les rues qui aboutissent à l’hôtel-de-ville étaient envahies par le petit peuple, qui témoignait son impatience et sa joie par ces acclamations aiguës particulières à la race provençale. Cette partie de la ville était alors, comme aujourd’hui, habitée par les marchands et les gens de métier. Aussi, dans la foule un peu bruyante qui garnissait les fenêtres et faisait la haie le long des maisons, n’entendait-on guère parler français. La toilette des femmes était aussi fort modeste ; on n’apercevait dans leur coiffure ni plume, ni fleurs, ni clinquant ; les plus élégantes se permettaient seulement de mettre un œil de poudre sur leurs cheveux rattachés en chignon. La distinction des rangs était alors si rigoureusement marquée par le costume, qu’il suffisait de jeter un regard sur cette multitude pour s’assurer qu’il n’y avait là que des bourgeois et des artisans endimanchés.

Cependant, lorsque les fanfares annoncèrent que la cavalcade allait défiler sur la place de l’hôtel-de-ville, un groupe de quatre ou cinq jeunes gentilshommes fit bruyamment irruption parmi cette foule plébéienne, et s’arrêta au coin de la rue des Orfèvres, où quelques curieux avaient déjà pris place. Les derniers venus se hâtèrent de prendre, comme on dit, le haut du pavé, et on les laissa faire sans opposition ; car la plupart étaient bien connus dans la bonne ville d’Aix, où ils avaient déjà causé plus d’un scandale. Les petits bourgeois, les gens de la classe moyenne, étaient en général d’une pureté de mœurs qu’alarmaient les habitudes de ces mauvais sujets de haute condition, dont le type, entièrement perdu de nos jours, remontait aux roués de la régence ; mais nul ne se fût avisé de leur témoigner le mécontentement qu’excitait leur présence. Une sorte de crainte se mêlait à l’éloignement qu’ils inspiraient ; bien que chacun fût choqué de leurs façons insolentes, on les laissait faire, et le plus hardi parmi les gros bonnets du quartier marchand n’eût osé s’attaquer à eux de paroles, encore moins de faits. On se rangea silencieusement pour leur faire place, et ils restèrent à peu près séparés des groupes qui les environnaient. Un seul individu, qui depuis la tombée de la nuit s’était établi à l’endroit qu’ils venaient d’envahir, n’abandonna point