Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
735
MISÉ BRUN.

son poste et resta près d’eux, à demi caché dans l’embrasure d’une porte murée. Ces messieurs, le jarret tendu, la parole haute, se placèrent en avant le plus possible, et firent étalage de leurs personnes avec toute sorte de graces arrogantes. Quand même la lumière des pots à feu n’eût pas éclairé en plein le visage légèrement fardé de ces fashionables d’autrefois, on les eût reconnus rien qu’au parfum de poudre à la maréchale qu’exhalait leur perruque et à leur manière de coudoyer les gens.

L’un d’eux, qu’à son allure il était aisé de reconnaître pour un étranger, un Parisien, dit à un autre freluquet qui lui donnait le bras : — Ah çà ! mon cher Nieuselle, je ne vois pas ce que nous faisons ici. Retournons au Cours, je vous prie.

— Non pas, répliqua l’autre, je vous demande encore un quart d’heure.

— Alors je vais, pour passer le temps, conter fleurette à cette petite brune qui nous regarde du coin de l’œil. Une jolie femme, ma foi !

— Il ne vous sera pas aisé de lier conversation, je vous avertis, dit un troisième.

— Bah ! il y a toujours moyen. Je lui débiterai quelque fadeur qui lui paraîtra la fine fleur de l’esprit et de la galanterie ; par exemple : vos yeux ont des flammes qui incendient les cœurs ; le mien brûle pour vous, madame…

— Madame ! Elle croira que vous vous moquez d’elle, si vous l’appelez madame ; dites tout simplement mademoiselle, ou misé, c’est l’usage chez ces petites gens.

— Messieurs, interrompit celui que l’étranger avait appelé Nieuselle, veuillez m’écouter un moment ; ce n’est pas sans dessein que je vous ai arrêtés ici. J’espère pouvoir vous montrer l’héroïne d’une de mes dernières aventures, une aventure unique et que je vais vous raconter.

— Comment ! Nieuselle, tu te vantes aussi de celle-là ! s’écria un petit jeune homme vêtu à la dernière mode d’une culotte vert-d’eau et d’un habit de velours printanier à mille raies.

— Pourquoi pas ? répliqua-t-il en secouant son jabot de dentelles d’un air de fatuité magnifique ; l’invention était des meilleures, et je m’en fais honneur. D’ailleurs, je ne suis pas comme tant d’autres, je raconte mes défaites comme mes triomphes. Je sais des gens plus discrets qui ne parlent que de leurs bonnes fortunes, et Dieu sait s’ils ont jamais grand’chose à raconter ! Je ne dis pas ceci pour toi,