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UN HOMME SÉRIEUX.

— Vous une vieille femme ! jamais vous ne m’avez paru si belle ! s’écria le vieillard, qui essaya de conjurer par ce compliment la visible mauvaise humeur de sa femme.

— Belle ou laide, répondit la marquise avec un sourire un peu dédaigneux, en me chargeant de ma nièce pendant son séjour à Paris, j’ai pris l’engagement d’être sa seconde mère. Je réponds d’elle à mon frère, et je connais toute l’étendue de cette responsabilité.

— Mais en quoi donc cette responsabilité vous empêche-t-elle de plaider près de votre frère la cause de ce pauvre Moréal ?

— Ce serait inutile ; quand mon frère a pris une résolution, rien ne l’en fait dévier.

— Allons donc ! que vous disiez cela à des étrangers pour soutenir la réputation d’homme de caractère qu’ambitionne Chevassu, ce serait d’une bonne sœur ; mais à moi ! ne sais-je pas que vous faites de lui ce que vous voulez ?

— Je ne crois pas cependant que j’en fasse jamais le beau-père de M. de Moréal.

Après cette réponse, qui laissait tout en question, Mme de Pontailly sonna et demanda sa voiture.

— Donnez-moi au moins un mot d’espérance que je puisse transmettre à mon protégé, répondit le vieillard ; il sait que je dois vous parler ; en le revoyant, que lui dirai-je ?

La marquise, qui allait sortir, s’arrêta au milieu de la chambre, et fixant sur son mari un regard d’une expression indéfinissable :

— Vous lui direz, répondit-elle, que, s’il désire obtenir ma protection, il peut bien prendre la peine de me la demander à moi-même.

— Ma foi, se dit M. de Pontailly lorsqu’elle fut sortie, si ma femme avait dix ans de moins, je croirais qu’elle vient de me donner la singulière commission de lui arranger un rendez-vous avec Moréal.


Charles de Bernard.


(La troisième partie au prochain numéro).)