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MISÉ BRUN.

Cependant les trompettes qui précédaient la cavalcade sonnaient à l’entrée de la rue, et déjà la lueur des torches resplendissait dans l’éloignement ; la foule impatiente et joyeuse ondulait en avant du cortége et le saluait de bruyantes acclamations. Le petit peuple débordait dans la rue des Orfèvres ; pourtant les jeunes gentilshommes avaient conservé leur position au milieu de ce pêle-mêle et formaient toujours un groupe isolé en face de la boutique de Bruno Brun.

— Allons-nous-en, messieurs, dit Malvalat ; voilà une grande heure que nous sommes en péril d’être coudoyés par ces manans. Et pourquoi, je vous prie ? pour écouter l’histoire des infortunes amoureuses de Nieuselle et nous morfondre à attendre l’apparition de sa déesse, quelque minois chiffonné dont il exagère fort les charmes, j’en suis sûr.

— Tais-toi, interrompit Nieuselle, tais-toi ! on vient de pousser la porte de l’arrière-boutique. C’est elle ; la voilà !

— Charmante ! — adorable ! — divine ! s’écrièrent à la fois les roués.

— Elle est belle en effet, murmura Malvalat, vaincu par l’évidence ; oui, elle est belle.

La jeune femme dont l’aspect avait provoqué ces témoignages d’admiration pouvait avoir environ vingt ans ; mais, à la délicatesse de ses traits, à la finesse incomparable de son teint, on lui eût donné moins d’âge encore. Elle avait de grands yeux d’un bleu mourant et de longs sourcils noirs semblables à deux traits déliés et presque droits. Son ajustement était des plus simples : elle portait un déshabillé de cotonnade rayée dont l’ample jupon était plissé sur les hanches ; un fichu de grosse mousseline couvrait modestement sa poitrine et laissait deviner pourtant le contour souple et gracieux de son corsage. Ses cheveux, d’un brun doré, étaient légèrement crêpés sur le front, mais sans un atome de cette poussière blanche et parfumée dont les dames d’autrefois saupoudraient leur coiffure. Un petit bonnet, rattaché autour de la tête par un ruban couleur de feu, cachait son chignon et descendait sur ses joues en plis raides et droits. Bien que la profession de son mari dut lui permettre la possession de quelques joyaux, elle ne portait ni bagues, ni pendeloques, ni aucun autre bijou de prix ; seulement elle avait au cou une petite croix d’or, et à la ceinture une chaîne d’argent qui, suspendue à un large crochet, retombait jusqu’au bas de sa jupe et soutenait ses clés et ses ciseaux. Ces modestes ornemens étaient en quelque sorte les insignes de sa condition ; l’un révélait la foi naïve de la jeune femme