Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
757
MISÉ BRUN.

Alors comme aujourd’hui, le cloître de Saint-Sauveur était une enceinte solitaire et dévastée, où depuis long-temps les chanoines ne venaient plus se promener et lire leur bréviaire. Les fidèles passaient sans s’arrêter sous les arceaux élégans qui soutiennent la galerie, et ne descendaient jamais dans le préau dont le terrain était envahi par des mauves et des orties de la plus belle végétation. Ordinairement une vieille pauvresse se tenait accroupie à l’entrée du cloître, contre un sarcophage antique qui servait de bénitier, et sa voix lamentable, s’élevant à intervalles égaux, résonnait dans ce mélancolique séjour comme le son des cloches et le timbre de l’horloge.

En ce moment, tout se taisait dans le cloître, hormis cette voix dont le fausset plaintif retentissait comme une clameur soudaine et mettait en fuite les bandes de passereaux, qui venaient hardiment sautiller jusqu’au bord du bénitier. Misé Brun s’en allait les yeux baissés, les bras modestement croisés sur son mantelet noir, et son missel à la main. Ses pas légers touchaient sans bruit les dalles sonores ; l’on eût dit une ombre fuyant à travers les sveltes colonnes du cloître. Madeloun suivait sa maîtresse en tâchant d’imiter la tenue sévère et l’air gourmé de misé Marianne. La jeune femme était si absorbée dans ses pensées, qu’elle ne vit pas la mendiante qui s’était levée pour lui tendre la main comme de coutume, et qu’elle oublia de prendre en passant de l’eau bénite. Sa situation l’épouvantait ; comme toutes les femmes dont le cœur encore innocent s’ouvre aux fatales passions, elle ne se laissait aller à ce doux et terrible entraînement qu’avec des alternatives de faiblesse et de résistance. En ce moment, elle prenait la résolution de ne plus s’abandonner aux dangereuses pensées qui avaient si profondément troublé sa tranquillité, et qui commençaient à inquiéter sa conscience. Mais un nouvel incident vint rompre ce ferme propos et la rejeter bien loin des calmes régions où son ame essayait de rentrer. Avant qu’elle eût gagné la porte du cloître, Madeloun la tira vivement par la manche et la força de s’arrêter :

— Regardez, lui dit-elle en désignant un homme qui se promenait de l’autre côté du préau ; regardez donc ! n’est-ce pas là cet honnête monsieur qui s’est si bien comporté envers nous le jour que nous avons eu tant de mauvaises rencontres ?

Misé Brun n’osa lever la tête ; ses genoux tremblans ne la soutenaient plus, la respiration lui manquait ; elle fut près de s’évanouir à la seule pensée de se retrouver encore une fois en face de celui