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convoitée, dit Bruno Brun avec une conviction pleine de regrets ; j’aurais pu la montrer sans aucun risque, nous serions deux à la boutique, et nos affaires en iraient mieux. Enfin patience ! Je vais à la confrérie.

— Pauvre tête ! murmura la tante Marianne.

Misé Brun était encore à la place où son mari l’avait laissée. En ce moment, un jour clair pénétrait dans l’appartement, et la douce chaleur d’une belle matinée de juin attiédissait l’air qu’on y respirait. Pourtant ces influences qui réjouissent les plus humbles réduits n’égayaient point l’aspect de ce triste séjour. L’ameublement, qui était d’une simplicité tout-à-fait bourgeoise, avait servi déjà à plusieurs générations ; un ordre parfait, une propreté minutieuse, en dissimulaient la vétusté, mais ne pouvaient changer les tons rembrunis que le temps avait donnés à chaque objet. La grande armoire de noyer, qui renfermait tout le linge confectionné depuis un demi-siècle par les femmes de la famille, faisait pendant au lit dont la défunte misé Brun avait filé les rideaux. Un peu plus loin, il y avait une petite table surmontée d’un miroir grand comme la main et encadré dans des baguettes d’ébène. Près de la fenêtre, à l’endroit le plus apparent, était précieusement déposée une de ces niches qui se fabriquaient dans les couvens et où l’on voyait la figure de cire de l’enfant Jésus, au milieu du plus fantastique paysage qu’il soit possible de représenter avec du papier vert et des coquillages de toutes couleurs. Quelques chaises de paille, rangées le long des murs blanchis à la chaux, miraient leurs pieds vermoulus dans le carreau soigneusement frotté et luisant comme une glace.

Misé Brun parcourut d’un regard l’intérieur de cette chambre où elle avait déjà passé tant de jours mornes, languissans, inutiles, et tout à coup elle se sentit comme écrasée par un horrible ennui, par un sombre dégoût de tout ce qui l’environnait. Elle se prit à pleurer amèrement, car son ame était pleine d’une douleur sans consolation, sans remède. La pauvre femme n’eut pas même la pensée de se révolter contre son sort et d’essayer de s’y soustraire ; elle savait qu’elle devait vivre et mourir où la volonté de Dieu l’avait mise. Son cœur se sentait soulagé par cette explosion de larmes ; mais elle n’osa s’abandonner long-temps à la triste consolation de pleurer sans contrainte. Il fallait au moins une apparence de sérénité avant de descendre pour déjeuner avec la tante Marianne. La pauvre enfant essuya ses yeux, se leva avec effort, et se mit à ranger machinalement sa chambre. Alors, en s’approchant du lit, elle aperçut le cha-