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MISÉ BRUN.

pelet que Bruno Brun avait oublié en sortant. À cette vue, elle recula d’épouvante ; puis, dominant cette première impression, elle se rapprocha lentement et considéra la fatale relique avec une sorte de curiosité mêlée de peur. Cet emblème pieux n’avait pourtant rien par lui-même d’étrange ou d’effrayant. C’était un rosaire de quinze dizaines, orné de médailles de laiton et de têtes de mort en miniature, comme ceux qu’on voyait dans les collections d’images saintes et de reliques étalées à la porte des églises. Après un moment d’hésitation, misé Brun le prit d’une main tremblante, et le jeta au fond d’un tiroir qu’elle referma à double tour, comme pour s’assurer que cet objet, qui lui faisait horreur, ne s’offrirait plus à ses regards.

En ce moment, la voix nasillarde de misé Marianne se fit entendre ; elle querellait Madeloun, qui lui tenait tête, selon sa coutume. — Vous êtes la maîtresse, et moi la servante, c’est vrai, disait-elle ; mais cela ne m’empêchera pas de vous dire ce que je pense. Vous avez tort de prendre tant à cœur les fautes d’autrui, puisque ce n’est pas vous qui en ferez pénitence dans ce monde ni dans l’autre. Pourquoi êtes-vous dans une si grande indignation ? parce que misé Brun a eu des distractions à l’église ? mais, de votre temps, vous aussi, je m’en souviens, souvent vous regardiez en l’air, au lieu de suivre la messe dans votre livre d’heures, et votre défunte mère ne faisait pas tant de bruit pour si peu de chose : la digne femme n’allait pas parler à votre confesseur de ces misères-là. Je suis sûre que vous êtes allée trouver le père Théotiste ?

— Certainement, répondit la tante Marianne ; j’ai été trouver sa révérence à la sacristie, et l’ai priée de venir déjeuner : l’on a besoin de ses conseils ici.

Madeloun se hâta de dresser la table dans l’arrière-boutique et de mettre le couvert avec les plus belles assiettes du buffet. La petite bourgeoisie de cette époque n’étalait aucun luxe dans son intérieur, mais elle se permettait certaines recherches modestes et jouissait de cette sorte de bien-être qui résulte infailliblement de l’ordre et de l’assiduité aux occupations domestiques. Six chaises de paille, un buffet et une table de noyer formaient tout l’ameublement de l’arrière-boutique, qui servait de salon à la famille de l’orfèvre. La cheminée, au-dessus de laquelle figurait, en guise de glace, un simple papier vert, avait pour unique décoration une douzaine de tasses alignées aux côtés d’un sucrier de terre jaune. Mais le linge que Madeloun étalait sur la table était d’une blancheur in-