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comparable, et tous les ustensiles, reluisans et polis, annonçaient une propreté soigneuse. L’arrangement même du couvert décelait des habitudes plus élégantes et plus délicates que celles qu’on se serait attendu à trouver dans un si humble ménage ; le fruit servi pour le déjeuner aurait été digne de figurer sur la table d’un roi ; les figues verdâtres, les blonds abricots, étaient à demi cachés dans des pampres dont les larges festons débordaient sur la nappe, et une légère corbeille d’osier contenait les galettes dorées qui devaient remplacer le pain.

Un coup presque insensible frappé à la porte, et un bruit de sandales dans le corridor qui servait de vestibule, annoncèrent l’arrivée du convive qu’on attendait.

— Mon révérend père, je vous salue très humblement, dit misé Marianne en s’empressant d’avancer une chaise.

— Que Dieu soit avec vous, ma chère sœur ! répondit le moine d’un ton de bonhomie et de placide gaieté ; puis, jetant un coup d’œil sur la table, il ajouta : — Vous allez encore me faire commettre un péché de gourmandise ; votre café est si bon, que je m’accuse de le prendre avec trop de plaisir : la règle nous défend ces sensualités, elle nous ordonne même de retrancher quelque chose à la nourriture nécessaire. Lorsque notre institution était dans sa première ferveur, les religieux de Saint-François ne rompaient le jeûne qu’à midi avec une soupe de racines, sans huile ni sel.

— Ce qui est bon pour la santé du corps ne nuit pas au salut de l’ame, observa sentencieusement la tante Marianne ; d’ailleurs, mon père, vous ne pourriez pas supporter à la fois un jeûne rigoureux et les fatigues de votre ministère.

— C’est ce qui rassure ma conscience, dit le moine avec simplicité ; pour que j’aie la force d’exhorter les pauvres condamnés et de les soutenir jusqu’à la fin, il faut que mon corps ne soit pas exténué par l’abstinence et mon esprit abattu par les macérations. Les pratiques de dévotion n’ont de mérite devant Dieu qu’autant qu’elles ne nuisent pas aux bonnes œuvres envers le prochain.

Ces derniers mots résumaient les sentimens qui avaient dirigé la vie entière du vieux capucin. C’était une de ces ames simples et sublimes qui accomplissent instinctivement les actes les plus rares de courage et de dévouement. Chez lui, la charité allait jusqu’à l’abnégation ; avant de faire profession, il avait donné aux pauvres tout son patrimoine, et depuis qu’ayant fait vœu de pauvreté, il ne pos-