Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/779

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
773
MISÉ BRUN.

cher. Quand il eut fermé la porte de sa chambre, il posa sa lampe sur le prie-Dieu, quitta silencieusement ses habits et se mit à genoux pour dire ses prières. C’était le moment où misé Brun ne pouvait le regarder sans effroi. En effet, il y avait réellement quelque chose de sinistre dans le visage de ce pauvre homme, quand on le voyait ainsi à la blême lueur de la lampe. Ses gros yeux transparens étaient d’une fixité étrange, et l’immobilité de sa physionomie, la blancheur inanimée de son teint, lui donnaient un aspect funèbre. Mais cette fois misé Brun le considéra sans le moindre saisissement ; elle remarqua seulement qu’il était fort laid de profil, et qu’il avait une façon d’arranger ses cheveux tout-à-fait ridicule. Les puériles frayeurs auxquelles elle était en proie naguère venaient de s’évanouir à jamais sous l’influence d’autres impressions plus violentes et plus profondes ; l’inquiétude, l’agitation, les troubles du cœur, avaient tout à coup chassé les fantômes de l’imagination.

La jeune femme s’assit à côté du prie-Dieu, et ouvrit le volume que lui avait prêté misé Marianne. C’était l’homélie sur le le psaume et le recueil de prières composé par le père Calabre. L’amour divin emprunte dans ce livre les formules passionnées de l’amour profane ; c’est l’élan d’une ame tendre et exaltée vers l’idéal qu’elle implore et cherche sans cesse ; c’est la prière ardente et continuelle qu’elle adresse à l’objet de toutes ses espérances et de tous ses vœux. Ces accens retentirent jusqu’au fond du cœur de misé Brun ; elle apprit dans le livre mystique du pieux oratorien un langage qui rendait ses propres impressions, et dont chaque mot éclairait son esprit comme un trait de flamme. Cette lecture lui ouvrit subitement tout un monde d’idées et de nouvelles émotions et développa tout à coup en elle les plus belles et les plus dangereuses facultés.

Misé Brun était un de ces êtres que la nature créa dans un jour de munificence, et auxquels elle prodigue ses plus rares et ses plus redoutables dons, un cœur naïf et tendre, une imagination puissante, l’instinct des nobles choses, l’aptitude aux délicates jouissances de l’esprit, et, par-dessus tout, des passions fougueuses et un besoin effréné d’émotions. Une telle organisation, placée dans des conditions favorables à son développement, serait sortie à coup sûr des sentiers ordinaires de la vie ; une telle femme, élevée dans un certain monde, aurait eu probablement une orageuse destinée ; mais le sort semblait avoir garanti misé Brun contre ses propres penchans, en la faisant naître dans une condition obscure et en la renfermant dans le cercle étroit de la vie bourgeoise. La plus humble éducation