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Les paysans, en général assez pauvres, supportent seuls les charges publiques, dans la proportion de leurs faibles moyens ; de la sorte, une région qui compte plus du tiers de la population (14 millions d’ames sur 36), ne participe aux dépenses communes que pour un sixième : dans ces provinces, l’impôt ne dépasse pas un florin 38 kreutzers par tête, tandis que dans le reste de l’empire il s’élève en moyenne à 5 florins 26 kreut., et qu’il atteint même 8 florins dans les provinces italiennes, 14 florins dans l’Autriche proprement dite. Un des moindres inconvéniens de cette inégalité est l’obligation de séparer par un cordon de douanes intermédiaires les provinces soumises à l’impôt, de celles qui en sont affranchies. À vrai dire, la réunion de la Hongrie à l’Autriche n’a été jusqu’ici qu’une alliance de deux peuples indépendans à l’abri d’une même couronne. La conquête ne sera définitive que lorsque la fusion sera franchement opérée, lorsque les peuples de race slave auront accepté le joug des administrations modernes. L’assimilation, ou plutôt, si l’on nous pardonne le mot, l’apprivoisement de la Hongrie, paraît être pour le gouvernement autrichien, ce qu’est pour la Russie l’occupation de Constantinople, c’est-à-dire l’œuvre d’avenir, la pensée traditionnelle qui domine tous les actes politiques. Il n’y a pas à craindre qu’on en vienne jamais aux moyens de rigueur pour réduire les opposans. Les hommes d’état qui siégent dans les conseils auliques se garderont bien de provoquer la turbulence d’un peuple naturellement fier et belliqueux ; ils se disent, avec Machiavel, que le monde appartient aux flegmatiques, et ils attendent : le temps a déjà beaucoup fait pour eux.

Bien qu’ébranlée pendant tout le moyen-âge par les attaques de la royauté, la féodalité ne croula dans l’Europe occidentale qu’à l’époque où elle cessa d’être avantageuse aux privilégiés par suite des changemens survenus dans les rapports sociaux. Or, de pareils symptômes menacent aujourd’hui la féodalité hongroise. Il se trouve, parmi les fiers magnats, des hommes éclairés qui comprennent qu’en refusant l’impôt, on renonce à l’avantage d’avoir de bonnes routes, une police tutélaire, des écoles, en un mot cet ensemble d’établissemens publics destinés à féconder les ressources d’un pays : on s’avoue tristement que toutes les affaires sont stagnantes par défaut de circulation, que le crédit est nul parce que les anciennes formes de la justice rendraient illusoires les droits des créanciers, et qu’enfin, de compte fait, l’économie qui résulte des immunités seigneuriales est une déplorable spéculation. Déjà, la né-