Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
937
MISÉ BRUN.

ment l’âpre montée tracée dans la forêt. Au-dessus de sa tête, les pins balançaient avec un doux bruissement leur verte couronne, et les chênes étendaient d’un côté à l’autre du chemin leur feuillage immobile. Parfois une clairière s’ouvrait entre les arbres, semblable à l’agreste jardin d’un ermite. Là s’épanouissaient dans toute leur beauté native les fleurs cultivées dans nos parterres ; les corymbes dorés de l’immortelle, les croisettes roses de l’œillet sauvage, s’y mêlaient à la noire scabieuse et livraient aux vents leurs exquises senteurs. Plus loin, dans les ravins, le myrte mariait ses tiges élégantes et ses bouquets blancs aux rameaux vigoureux de l’arbousier, dont les fruits d’un rouge éclatant ressemblent de loin à d’énormes perles de corail.

Misé Brun avançait hardiment et explorait du regard tous les sites. Elle avait tout-à-fait oublié de quels évènemens sinistres ces lieux furent témoins, et elle ne se souvenait guère non plus de Gaspard de Besse et de sa bande. Au lieu d’avoir peur, comme son mari, à chaque détour de la route, à chaque massif d’arbres, elle s’écriait ravie : — Que cet endroit est beau ! qu’il ferait bon vivre ici, mon Dieu !

— Oui, en compagnie des voleurs et des loups, murmurait l’orfèvre en haussant les épaules ; sainte Vierge ! qu’il me tarde d’être loin de ces affreuses montagnes, et de ces arbres, et de ces fleurs, et de tout ce qu’on voit dans ces parages maudits !

Cependant, après deux heures de marche environ, Bruno Brun eut une légère diversion à ses frayeurs et à ses pénibles réflexions. Au moment où la carriole atteignait un des plateaux qui formaient comme les degrés du gigantesque escalier dont le sommet apparaissait dans l’éloignement, les voyageurs aperçurent deux têtes plantées sur des poteaux au bord du chemin, devant une de ces clairières embaumées où s’épanouissait une si riche moisson de fleurs. Misé Brun, qui allait un peu en avant, se détourna avec un cri d’horreur et continua rapidement sa marche, tandis que Bruno Brun arrêtait la carriole et disait d’un air de satisfaction : — Je suis bien charmé de voir là-haut ces deux figures ; cela prouve qu’il y a une justice pour les malfaiteurs. Ah ! ah ! ceux-ci font une piètre grimace maintenant ; leurs camarades pourront les revoir en passant et se dire que leur tour viendra aussi de faire peur aux oiseaux. Mais regarde donc, mon garçon ; ils ne bougent plus à présent, et les honnêtes gens passent devant eux en toute sécurité.

— J’aurais presque autant aimé me trouver face à face avec quelqu’un de leurs camarades, murmura Siffroi, qui, bien qu’un déter-